Esprit (de sacrifice), es-tu là ?

Le changement de société passe-t-il nécessairement par le sacrifice de ceux qui militent pour ce changement de société ? Diego Navarro écrit dans le dernier forum qu’il faut « valoriser l’esprit de sacrifice parce qu’il est un élément éminemment positif » du militantisme. Il regrette qu’on maltraite l’esprit de sacrifice des anciens militants.

Je ne crois pas que c’est une question qui oppose les anciens militants et les plus jeunes. Je crois d’ailleurs qu’il n’existe pas en réalité de clivage entre anciens et nouveaux sur aucune des questions qui nous sont posées dans le cadre du débat du congrès.

Ma grand-mère maternelle était résistante, militante communiste. Jamais, je ne l’ai entendue valoriser l’esprit de sacrifice. Elle racontait cette période de sa vie par petites touches. Comment elle l’avait échappé belle en transportant une valise pleine de tracts, elle racontait aussi la solidarité de ceux qui l’avaient aidée dans cette période-là. Elle racontait des gestes accessibles à tous, même si tous ne les ont pas accomplis. Mais c’est bien parce que son engagement était loin de l’imagerie héroïque des manuels scolaires que d’autres ont fait aussi des gestes simples, quotidiens, indispensables à la victoire sur le nazisme. Bien sûr, elle a eu son lot de sacrifices, un frère mort à Madrid, un beau frère en camp de concentration. De leurs morts, il n’est pas resté le sens du sacrifice, mais la douleur. Ils ne se sont pas battus pour être sacrifiés, mais pour des valeurs, pour des idées. Ces sacrifices-là n’ont pas été choisis par les militants de cette époque-là, mais imposés par le nazisme et le fascisme. Et ce que j’en garde, ce n’est pas le sens du sacrifice, mais la volonté de construire un monde humain face à la barbarie.

Je ne crois pas qu’on puisse se poser la question des formes du militantisme séparément de son sens. Pensons-nous que le changement de société doit se faire par étapes, avec des objectifs et un projet précis pour chaque étape, ou pensons-nous que la société se transforme de manière perpétuelle, au quotidien, et que nous pouvons changer des choses fondamentales sans attendre des lendemains meilleurs ? Pour ma part, j’opte pour la deuxième solution. La société capitaliste n’est pas née du jour au lendemain, elle est le résultat d’un long processus. Le capitalisme continue d’exister parce qu’il sait voir autre chose que lui-même dans cette société et qu’il tient compte de cet autre chose, qu’il s’en sert ou s’y adapte. Savons-nous voir cet autre chose ? Savons-nous voir que la société ne se réduit pas à la lutte des classes, et qu’il existe d’autres formes de dominations dans notre société ? Certains pensent que le racisme ou le sexisme sont des formes de domination qui découlent du capitalisme. Je ne suis pas d’accord avec cette idée. Je pense que la société est plus complexe que cela. Nous voulons combattre tout ce qui entrave l’épanouissement de l’être humain. Mais ce tout là est multiple.

Alors, nous faut-il garder une structure pensée pour que tous les militants fassent la même chose, à peu près au même moment pour atteindre un seul et même objectif ? Je crois que cette structure pyramidale ne nous permet pas aujourd’hui d’être aussi offensif que nous le pourrions. Cette structure empêche les adhérents de choisir leurs engagements sous peine d’être considérés comme de mauvais militants quand ils ne font pas « ce qu’il faut faire ». Dans ma ville, les choses sont en train de bouger, mais, jusqu’à présent, quand un-e camarade voulait faire autre chose que ce qui a été prévu par le « calendrier fédéral » ou électoral, alors on lui répondait : « eh bien, fais-le ! ». Débrouille-toi ! Grâce au débat du congrès et de manière un peu empirique, l’idée avance qu’il faut aider ceux qui le souhaitent à s’organiser au niveau de la ville sur une idée qui fait sens pour eux, comme par exemple l’obtention du droit de vote pour les étrangers aux prochaines élections municipales. Je me lèverai volontiers tôt pour aller faire signer une pétition sur ce sujet, même si je suis fatiguée, et je ne le prendrai pas pour un sacrifice.

* Militante communiste.

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