Un grand d’Hollywood

Rio Bravo, le Grand Sommeil, l’Impossible Monsieur Bébé. Tous ces films, apparemment différents, ont été réalisés par le même homme : Howard Hawks. Un des rares cinéastes de l’âge d’or hollywoodien dont l’influence soit déterminante dans la production contemporaine. Godard, Bertolucci, Scorsese ou Tarantino le citent comme une de leurs principales sources d’inspiration. L’oeuvre d’Hawks a le mérite de toujours surprendre le spectateur. Son amoralisme, sa lucidité envers les êtres, son refus de tout engagement politique la rendent difficile à classer.

On peut y voir une des raisons qui font d’Howard Hawks un nom moins identifiable qu’Alfred Hitchcock ou John Ford. Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun journaliste ou historien n’avait réussi un travail comparable à celui de Truffaut avec le réalisateur anglais. Cette lacune est largement comblée avec la biographie de Todd McCarthy. Pour la première fois, la vie du créateur du Port de l’angoisse est décrite en détail. Ses méthodes de travail sont analysées en profondeur. Le processus de fabrication d’un film hollywoodien des années trente à soixante nous est montré dans toute sa complexité et son âpreté. Hawks se battait, à chaque sortie, avec la puissante commission de censure. Le chapitre, consacré à Scarface, illustre l’attitude conservatrice de l’opinion publique américaine. D’un autre côté, le réalisateur avait d’importantes difficultés avec les studios. McCarthy retrace, par exemple, les conflits qui ont accompagné l’exploitation de la Rivière rouge. En raison de litiges juridiques, Hawks dut attendre plusieurs mois avant de pouvoir présenter au public son premier western. Le plus souvent, l’écart est énorme entre la perfection des films et les incidents propres à leur conception.

Si Hawks nous fascine, cela tient autant à son caractère qu’à son talent de cinéaste. Son personnage est un improbable croisement entre Hemingway et Faulkner (ses deux écrivains préférés). McCarthy nous introduit, presque subrepticement, dans son existence (peut-être l’aspect le plus passionnant du livre). Hawks était froid, calculateur. Nombre de témoignages le dépeignent comme intéressé uniquement par lui-même et ses films. Sa famille ne représente pas grand chose à ses yeux. Il était réputé pour être le plus brillant menteur d’Hollywood. Le journaliste s’amuse à établir les différences entre les récits du metteur en scène et la réalité. Inévitablement, Hawks a le beau rôle. Nul ne lui dicte sa conduite. Il est toujours à l’origine des idées les plus éblouissantes.

McCarthy nous donne également l’occasion d’admirer une galerie extraordinaire de personnalités hautes en couleur. Jack Warner, Irvin Thalberg, John Wayne, Cary Grant, Gary Cooper défilent sous nos yeux. Clark Gable vient chez Hawks faire de la moto. Faulkner courtise sa secrétaire. Humphrey Bogart tombe amoureux de Lauren Bacall. Chaque page fourmille d’anecdotes irrésistibles. Certains tournages mythologiques : ainsi celui du Port de l’angoisse : sont vécus de l’intérieur.

L’ouvrage peut aussi se lire comme une étude critique du travail de Hawks. Ses thèmes favoris ne s’expriment clairement qu’à partir du milieu des années trente (avec Train de luxe). La femme hawksienne trouvera sa parfaite incarnation avec Lauren Bacall, après avoir été ébauchée par Carole Lombard ou Katharine Hepburn. Le réalisateur se comporta, inlassablement, en artisan peaufinant son univers. Atypique, il eut des imitateurs mais, jamais, personne ne parvint à égaler son style à la fois séduisant et cynique.

Todd McCarthy,

Hawks,

Editions Solin, Institut Lumière / Actes Sud

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *