Il fut un temps où les téléspectateurs n’avaient que le choix entre deux puis trois chaînes. C’était l’époque où nous sortions tout juste du noir et blanc, où le générique des « Dossiers de l’écran » terrorisait les quelques enfants qui s’étaient fait oublier devant le petit écran et où le film du soir commençait à 20h30. C’était la télévision analogique. C’était le Moyen Age. Dorénavant la télévision déverse une multitude de chaînes mais, surtout, il faut choisir quel robinet va vous alimenter : la voie hertzienne, toujours analogique, avec cette bonne vieille antenne râteau solidement plantée sur le toit de l’immeuble, la voie souterraine avec le câble et ses fibres optiques, la voie (voix ?) de l’espace avec les satellites qui se multiplient au-dessus de nos têtes. Le choix pour nous s’avérait compliqué ; nos députés commençaient à avoir le tournis et les membres des groupes de pression finissaient par trouver leur métier bien éprouvant. Pourtant, après quelques années de concurrence acharnée, la loi sur l’audiovisuel semblait sur de bons rails, et chaque chaîne commençait à faire ses comptes, afin de savoir en quelle année les investissements allaient être rentables. Mais voici maintenant que pointe à l’horizon la future télévision numérique hertzienne qui pourrait bien remettre en cause les équilibres entre les poids lourds de l’audiovisuel !
Vu d’un canapé, la télévision numérique améliore la qualité de l’image et du son, à condition de posséder un poste qui n’ait pas un âge trop vénérable. En regardant à l’intérieur des tuyaux, on s’aperçoit que toutes les données sont codées grâce à un langage peuplé de 0 et de 1. En outre, elles peuvent être compressées afin de prendre beaucoup moins de place. Ainsi, là où ne voyageait qu’une seule et unique chaîne, il est maintenant possible d’en faire passer de 4 à 6. Il suffit de les décoder à l’arrivée. C’est le rôle de ces boîtiers qui fleurissent dorénavant juste en dessous du magnétoscope familial. La multiplication des chaînes est à l’origine du développement du câble et de l’engouement pour les bouquets satellites. Pourtant, 80 % des foyers ne reçoivent encore que les chaînes hertziennes, c’est-à-dire TF1, F2, F3, Arte-La Cinquième, M6 et Canal Plus. 5,5 millions de foyers seront abonnés au câble ou au satellite en 2002, si leur développement continue sur le même rythme. Or, c’est justement à cette date que devrait apparaître le numérique hertzien : grâce à la même antenne râteau, ce seront là aussi 4 à 6 chaînes qui seront diffusées par canal. Autrement dit : grâce à un décodeur, 80 % des foyers recevront plus de trente chaînes en qualité numérique en lieu et place des six analogiques. On comprend bien pourquoi les acteurs du paysage audiovisuel français actuels freinent cette innovation des quatre fers. Pour une fois que les lobbies sont d’accord entre eux, puisque toutes les grandes chaînes ont des intérêts dans les bouquets satellites, on aurait pu penser que ce projet avancerait à pas comptés. C’était sans compter sur plusieurs éléments.
Tout d’abord, le lobby de l’électronique y voit un formidable potentiel. Il faudra en effet construire un nombre très important de décodeurs ou, encore mieux, remplacer les 34 millions de télévisions par la nouvelle génération de postes numériques. Les premiers d’entre eux, qui permettent de se passer de décodeurs, apparaîtront bientôt. Leur prix devraient avoisiner les 5000F. On comprend donc bien la réaction de Michel-Bernard Brossard, président du syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques : « Le numérique terrestre n’est pas l’ennemi du satellite. » On comprend tout autant celle d’Arnaud Richard, directeur du marketing pour l’Europe du satellite Astra : « Y a-t-il de la place pour une offre supplémentaire et d’une qualité inférieure ? » D’autre part, il ne faudrait pas que la France se fasse distancer par les autres pays européens. Les Anglais, pionniers en la matière, ont d’ores et déjà lancé leur premier service de télévision par diffusion hertzienne : en novembre 1998, ONdigital se lançait à l’assaut de l’empire de Murdoch. Afin de prendre le temps de la réflexion et d’entendre les arguments de chacun, le gouvernement a décidé, au printemps dernier, de ne pas se précipiter. Un livre blanc a été envoyé aux divers acteurs du secteur pour que chacun puisse s’exprimer sur le sujet. Le CSA a défini deux priorités pour le numérique hertzien : « … la fonction fédératrice des programmes et la valorisation de notre identité culturelle » et d’autre part « éviter un verrouillage du marché pour permettre l’arrivée de nouveaux entrants ». Il reprenait ainsi l’un des arguments avancés au printemps par les auteurs d’un rapport sur la question : « La télévision de proximité est l’intérêt majeur de l’opération. Il y a des enjeux culturels socio-économiques importants. » Ce nouveau mode de diffusion pourrait en effet offrir, enfin, une réelle diffusion de chaînes locales puisque les réémetteurs ne couvrent pas une très grandes zones. C’est pourquoi certains quotidiens régionaux se sont déclaré prêts à s’investir dans l’audiovisuel. Les grandes chaînes nationales, qui sentent bien le coté inéluctable de cette évolution ont, quant à elles, de grandes ambitions. Elles réclament pour la plupart la gestion d’un multiplexe, c’est-à-dire un bouquet de chaînes (entre 4 et 6) sur la même fréquence. La décision semble aujourd’hui inéluctable : le numérique hertzien devrait apparaître dès l’année prochaine. Des tests sont en cours depuis plus d’un an en Bretagne. Le numérique et l’analogique devraient alors se côtoyer. Mais l’arrêt de mort de l’analogique est programmé. Vers 2010, il aura disparu. Mais dans ce domaine en pleine évolution, il ne faut être sûr de rien. Deux start-up américaines ont inventé un procédé qui pourrait changer la donne : un ordinateur connecté entre la prise d’antenne et la télévision qui permet d’enregistrer 30 heures de programmes sur son disque dur. Il le fait en votre absence, selon vos goûts qui auront été paramétrés et supprime la publicité. Les grandes chaînes mondiales en ont froid dans le dos…
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