La loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme. » Ce préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, intégré à la Constitution de 1958, n’était-il pas suffisant pour que les femmes françaises entrent dans la vie politique par la grande porte avec le droit de vote qui venait enfin de leur être accordé ? Non, quarante ans plus tard, les institutions politiques sont toujours le domaine de prédilection des hommes et les femmes restent à la porte, hormis quelques « exceptions exceptionnelles » qui le resteront car les lieux de pouvoir pour les hommes sont, par définition, des lieux où il n’y a pas de femmes. Devant ce « déficit » de représentativité des femmes, en octobre 1982, une loi visant à modifier le Code électoral et le code des communes est adoptée à la quasi-unanimité du Parlement.
Un de ses articles stipule que les listes municipales ne peuvent comporter plus de 75 % de personnes du même sexe. Malédiction, touche pas à mon universalité, touche pas à ma souveraineté nationale ! Le Conseil constitutionnel annule cette disposition : une distinction entre candidats en raison de leur sexe est contraire aux termes de l’article 3 de la Constitution.
Pour sortir de cette impasse, des associations féministes engagées de longue date pour l’égalité font émerger la revendication de parité qui va s’amplifier au fil du temps. De 1986 à 1990, certaines en font l’expérience dans le mouvement Arc-en-Ciel. De nombreuses associations, fédérations, groupes de femmes et individu-e-s se sont mobilisés depuis plusieurs années pour l’accès à parité des deux sexes à la gestion des responsabilités publiques. Cette mobilisation a obligé les partis politiques à présenter davantage de candidates lors des dernières élections. Elle a contraint l’ensemble de la classe politique à prendre position sur le déséquilibre hommes-femmes qui persiste dans ses rangs, voire à prendre des mesures pour y remédier.
Les moeurs changent souvent plus vite que le droit. Il est nécessaire de mettre en phase la loi et la vie. » C’est ainsi que parle Lionel Jospin, premier ministre, à Tours, en 1998 et le peuple, sondé et resondé, approuve à plus de 86 % cette volonté de voir les femmes occuper la place qui leur revient dans les instances où se décide l’avenir. Fallait-il choisir l’introduction de quotas, organiser un référendum sur la parité, ou bien opter pour l’instauration institutionnelle de la parité ? Les débats ont fait rage qu’ils soient politiques, philosophiques, de chercheurs, de sociologues ou de constitutionnalistes. Chacun a pu y mettre son grain de sel. Des voix fortes de femmes connues pour leurs opinions féministes vont apporter leur caution en affirmant : « Au nom de la Republique et de l’universalisme républicain, inscrire la parité dans la Constitution, c’est introduire le droit à la différence. C’est une régression après vingt ans de travail vers l’égalité. » La régression n’est-elle pas dans la place occupée par la France, avant-dernier pays européen pour la représentation des femmes en politique ?
L’Universel n’a-t-il pas été réduit à une figure singulière : un individu abstrait pour simplifier la pluralité, un individu plutôt de type masculin et de surcroît blanc. Cette interprétation de l’Universel est trompeuse, erronée, inachevée puisque l’universalité des droits s’est érigée à la face du monde en bafouant les droits des femmes, en excluant la moitié de l’humanité. A ce titre, ces textes ne mériteraient-ils pas d’être réinterprétés et/ou réécrits ? Ni l’éducation, obtenue de haute lutte, l’évolution culturelle, la marche vers une citoyenneté éclairée n’ont cependant permis de supprimer ce rapport de force archaïque fondateur de l’exclusion des femmes de la Cité. La loi peut ainsi rétablir par le droit l’injustice faite à l’Humanité de l’exclusion des femmes, résultat d’un rapport de force dans l’histoire. C’est par la parité que nous serons réintroduites dans l’Universel.
La France, avant-dernier pays européen pour la représentation des femmes en politique
Dans ce débat théorique, la question ne fut pas articulée à l’objectif que nous recherchons : celui de la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes, et sur la nécessité de trouver une solution permettant d’accéder à une égalité réelle et non formelle. C’est sur cette démarche qu’il y a lieu de se prononcer. En l’absence d’une loi, la France peut-elle attendre cent cinquante ans pour reconnaître aux femmes la place qui leur revient à égalité avec les hommes en politique ? Nos luttes pour la parité nous renvoient au réel. Nous nous situons dans la vie concrète de chaque jour face aux discriminations dont les femmes font encore l’objet. Nous voulons étendre les droits à toutes les femmes de la communauté, sans exercer de primat sur la communauté. C’est une question de solidarité. La parité, c’est une exigence de justice, c’est l’exigence d’un droit qui a été ouvertement bafoué en pleine légalité démocratique, c’est l’utopie d’une nouvelle citoyenneté.
Mise en oeuvre de la parité dans toutes les instances élues, quels que soient les modes de scrutins : seule façon d’atteindre l’égalité
La révision de la Constitution fut adoptée par l’Assemblée nationale le 15 décembre 1998 qui introduit enfin « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Mais n’est-il pas un peu tôt pour chanter victoire ? Nous ne pouvons nous satisfaire de l’inscription d’une phrase de plus dans la Constitution si celle-ci n’a pas d’effet immédiat, ce qui suppose la mise en oeuvre de la parité dans toutes les instances élues et quels que soient les modes de scrutins, seule façon d’atteindre l’égalité garantie par la Constitution et les textes qui engagent la France. Cela doit passer par la modification du code électoral et l’application de lois ordinaires déclinant la mise en oeuvre de la parité dans tous les modes de scrutins. Il ne s’agit pas seulement d’argumenter sur de subtils concepts, mais plutôt de faire l’assaut par la voie législative, donc en toute légalité, des bastions hostiles à un véritable changement de société. Dans cet esprit, et à la lecture des récentes propositions gouvernementales, il a été annoncé que « le principe de parité devrait entrer en vigueur dès les élections municipales de 2001 ». Mais plusieurs éléments n’ont pas été pris en compte. Cela concerne les communes de moins de 3 500 habitants qui représentent 34 000 communes sur 36 600 ; l’application du principe de l’alternance stricte entre les femmes et les hommes pour l’ensemble des scrutins de liste ; l’application de la parité à toutes listes ou candidatures groupées quelle que soit la taille de la commune pour les élections municipales ; l’extension des sanctions financières permettant de parvenir à la parité en fonction du nombre d’élu-e-s ; la modification de la loi de financement des partis pour les élections cantonales. Cette réforme du Code électoral doit s’accompagner du vote de la loi limitant le cumul des mandats, tant consécutifs que successifs, associée à un statut de l’élu(e).
Avec la parité, un mouvement est en marche. L’émancipation planétaire des femmes est devenue sur la scène politique internationale une donnée incontournable pour l’exercice effectif de la démocratie.
* Déléguée française au Lobby européen des femmes.
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