Entretien avec Michèle Riot-Sarcey
L’époque actuelle serait-elle plus favorable aux femmes ?
Michèle Riot-Sarcey : Aujourd’hui, la subversion, au sens noble, ne vient pas des milieux politiques. A cet égard, ce qui s’est passé à Seattle a été très révélateur. Il n’est plus possible de considérer d’autres êtres comme étant inférieurs, incomplets, inachevés. Ce moment est donc favorable aux femmes : à chaque fois que quelqu’un dit « Cela suffit », cela sous-entend : « J’exprime la volonté de ne plus subir. »
Les trois quarts des étudiants sont formés à dépendre des autres. L’école a été pensé dans la dépendance. Pour les femmes, c’est extrêmement difficile. Si l’homme dépend d’une société qui est la sienne, tout est fait pour valoriser son succès. La femme, à l’inverse, n’a pas à sa disposition de modèle porteur. Elle est éduquée de telle sorte qu’elle doit, par exemple, s’identifier à des philosophes qui disent penser dans le neutre, mais qui en définitive pensent dans le masculin. Elle doit par ailleurs avoir un rapport au passé qui la nie elle-même comme individu.
Ce conditionnement des élèves aboutit à penser contre soi. C’est encore plus vrai pour les femmes qui ne peuvent avoir un minimum de rapports valorisants à l’autre. C’est pourquoi cette mise en cause de la culture traditionnelle est très salutaire. Elle oblige les étudiants à considérer de manière critique ce qui a été dit, fait et pensé. Il leur faut envisager d’autres perspectives et désirer se situer dans le monde. Les dogmes n’ayant plus cours, la situation me semble bien plus favorable qu’en 1968, où il était exigé de penser comme les autres, surtout pour les femmes… n
* Enseigne l’Histoire contemporaine à l’université Paris VIII de Saint-Denis. Elle vient de publier le Réel et l’utopie, Albin Michel.
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