L’emploi en pointillé

En France, environ 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans exercent aujourd’hui une activité professionnelle. Ce taux se rapproche du taux masculin. La situation des femmes vis-à-vis de l’emploi s’est radicalement transformée depuis la fin des années cinquante. Cependant, malgré l’irruption massive des femmes sur le marché du travail, les rapports de sexes restent globalement des rapports inégalitaires vis-à-vis de l’emploi aussi. Et cela en dépit du fait que l’égalité entre hommes et femmes soit désormais un principe hautement affirmé au sein de l’espace public. L’égalité formelle ainsi proclamée masque en effet mal les inégalités réelles qui persistent (1).Malgré les avancées considérables qui ont été enregistrées dans ce domaine, le droit à l’emploi des femmes reste particulièrement fragile (2). Les inégalités réelles concernent aussi bien l’accès à l’école et à la formation que l’accès à l’emploi, les formes d’emploi que les positions occupées au sein de la division sociale du travail, les rémunérations professionnelles à qualifications identiques que le partage des tâches et des fonctions au sein du couple et de la famille ou la probabilité d’accès à une position sociale déterminée dans l’espace public.

Les inégalités entre les sexes, comme les inégalités sociales, présentent un caractère systémique et cumulatif,

Davantage touchées par le chômage, par la précarité, et notamment par le temps partiel contraint, forme d’emploi qui leur est quasiment réservée, les femmes sont aussi amenées à occuper une gamme d’emplois « féminisés » relativement limitée, à la fois très sexués et dévalorisés. Nombre de professions massivement occupées par les femmes sont centrées autour de la famille (et des enfants) ou du relationnel. Ces professions érigent fréquemment les « qualités féminines » naturalisées en qualité professionnelle, c’est-à-dire que les compétences exigées pour l’exercice de ces métiers ne sont pas considérées et rémunérées comme des qualifications.Comme les inégalités entre catégories sociales (3), les inégalités entre sexes présentent un caractère systémique et cumulatif. Autrement dit, elles s’engendrent et se renforcent mutuellement, en multipliant les avantages au profit des uns et les handicaps au détriment des autres. Ainsi la persistance de la division inégalitaire du travail domestique (4) constitue un sérieux obstacle à l’activité, à l’investissement et à la carrière professionnels des femmes. Le caractère systémique des inégalités entre hommes et femmes se manifeste encore par leur reproduction de génération en génération, non sans transformation, il est vrai. Les rapports inégalitaires entre les sexes ne sont pas les seuls à structurer la société française contemporaine, ils se combinent largement avec les rapports de classe. De ce fait, l’inégalité entre hommes et femmes s’infléchit selon les différentes catégories sociales. Si l’on veut réellement conforter et développer l’engagement des femmes dans l’activité professionnelle, notamment salariée, des politiques d’ordre général et des mesures spécifiques sont nécessaires. Pour conclure, nous en évoquons rapidement quelques-unes qui nous semblent plus particulièrement indispensables.Procéder à une réduction généralisée et massive du temps de travail, principale manière de lutter contre le chômage et la précarité et instaurer une alternative au piège du temps partiel. Rendre l’exercice du travail à temps partiel possible pour les salarié(e)s choisissant cette forme d’emploi, en les mettant à l’abri de toute discrimination ; mais, parallèlement en renchérir son coût pour les entreprises de manière à éviter que ces dernières n’imposent ce type d’emploi. D’une manière générale, à l’opposé de ce qu’on observe actuellement avec la loi sur les 35 heures mise en oeuvre par le gouvernement Jospin, une politique d’aménagement du temps de travail, dans le cadre de sa réduction générale, devrait permettre de réduire, pour les hommes comme pour les femmes, les problèmes que pose la compatibilité entre les contraintes professionnelles et les contraintes familiales.

Sphère privée sphère publique :les hommes règnent toujours en maîtres de l’espace public

Rendre obligatoire une négociation par branche, entreprise et établissement visant à définir aussi strictement que possible le contenu des postes de travail, de manière que soient reconnues les qualifications des femmes et que l’on applique dans la transparence le principe « à travail égal, salaire égal ». Cette dernière mesure est d’autant plus nécessaire que les écarts de salaires entre hommes et femmes ne se réduisent plus depuis une quinzaine d’années. Initier une procédure semblable en ce qui concerne les critères de promotion.Prévoir un allégement des charges et des horaires de travail pour les femmes enceintes, en renforçant les garanties légales et contractuelles qui les protègent dans le cadre de leur activité professionnelle. Développer les structures d’accueil des enfants en bas âge financées sur fonds publics : crèches collectives, crèches familiales, réseaux d’assistantes maternelles, crèches parentales, etc., dont le nombre est encore notoirement insuffisant. Réserver une partie des congés pour garde d’enfants malades aux hommes, sans possibilité de la transférer à leur épouse ou compagne. Revoir les formules de congé post-natal (par exemple le congé parental d’éducation) de manière à obliger les hommes à en prendre une partie. Revenir sur l’Allocation parentale d’éducation proposée depuis trois ans à partir du second enfant qui contribue directement à financer sur fonds publics le renvoi (durable ?) d’une partie significative des femmes dans l’espace domestique. Enfin mener des campagnes d’information contre ce qui reste d’idéologie familialiste, visant à faire assumer à la femme prioritairement voire exclusivement un rôle de mère de famille.Des remarques analogues pourraient être faites en ce qui concerne les rapports entre la sphère privée et la sphère publique : l’assignation prioritaire des femmes à la première et l’hégémonie persistante des hommes au sein de la seconde se génèrent et se renforcent mutuellement. Dominant l’univers professionnel, les hommes règnent toujours largement en maîtres sur l’espace public. .

* Professeur agrégé de sciences sociales à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, ** Maître de conférence en sociologie à l’Université de Haute-Alsace

1. Pour une étude plus approfondie, lire Hommes-femmes, l’introuvable égalité, Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, les Editions de l’Atelier, 1996.

2. On peut consulter avec intérêt le dossier « L’emploi est-il un droit ? » dans le N°2 de la revue Travail, genre et sociétés, l’Harmattan 1999.

3. Déchiffrer les inégalités, Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, nouvelle édition, Paris Syros 1999, chap. 13.

4. Les résultats de la dernière enquête « l’emploi du temps » publiés par l’INSEE fin 1999 montrent que les choses ont très peu bougé dans ce domaine.

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