Un nouveau procès , un nouveau juge, un nouvel Etat

Entretien avec Aline Pailler

Journaliste puis députée européenne de juin 1994 à juin 1999, Aline Pailler est aujourd’hui membre du Conseil économique et social et journaliste sur France-Culture. Dans son combat contre la peine de mort et pour les droits de l’Homme, elle a rencontré Mumia Abu-Jamal.

Comment avez-vous commencé à suivre l’histoire de Mumia Abu-Jamal, journaliste noir américain, condamné à mort depuis 1982, qui se bat pour faire valoir son innocence?

Aline Pailler : Comme j’étais députée européenne, j’ai déposé plusieurs textes, principalement contre la peine de mort aux Etats-Unis. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à militer pour la réouverture du procès de Mumia Abu-Jamal. Dans cette optique, Angela Davis (ancienne militante des Panthères noires) est venue à Strasbourg. Mon obstination a payé puisqu’on a fini par me proposer de rendre visite à Mumia. J’ai eu l’accord définitif au bout de deux mois. Et fin avril 1999, j’ai enfin réussi à interviewer Mumia dans le couloir de la mort. C’était terrible. Il se trouve dans la prison de Pennsylvanie Green, très loin de grandes villes comme Pittsburgh ou Philadelphie. Elle est très isolée, en pleine campagne. A l’intérieur, tout est carrelé, clean. Très loin des prisons insalubres de Turquie, et pourtant très mortifère. L’odeur de désinfectant vous prend à la gorge dès votre entrée, et ne vous lâche plus. Le quartier des condamnés à mort est très éloigné dans le coeur de la prison. Il faut la traverser entièrement pour rejoindre ces cellules. J’ai dû subir de nombreux contrôles et des mesures humiliantes. Il m’ont fait déchausser, ont vérifié que je ne prenais pas de drogues. On m’a même interdit de me munir de crayon, de papier ou de prendre des photos! Les portes font un bruit infernal à chaque fois qu’elles se ferment. Et quand, finalement, on arrive à une rangée de boxes, avec des murs de vitres qui vous séparent du prisonnier, c’est terriblement oppressant. On ne sait pas combien de temps on va attendre. Beaucoup renoncent d’ailleurs à leur droit de visite. Le prisonnier doit en effet subir une fouille à nu avant et après chaque entretien. Il est humilié gratuitement, alors que tout contact est impossible. J’ai passé deux heures avec Mumia et Julia Wright, fille du romancier noir américain Richard Wright, présente en tant qu’interprète. C’est un entretien qui m’a beaucoup choquée et m’a laissé des traces indélébiles. Pour la première fois, la peine de mort devenait une réalité qui vous donne le frisson. C’était vrai, mais dans mon esprit ce n’était pas concevable. Un bout de moi est resté attaché là-bas. Imaginez : en moyenne, sur 600 prisonniers que contient la prison, 130 sont condamnés à morts. Et dans l’Etat de Pennsylvanie, 60% des condamnés à mort sont Noirs, pour 9% de Noirs dans cet Etat.

Qu’avez-vous ressenti en rencontrant Mumia ?

Aline Pailler : Un grand charisme, une grande intelligence et une grande force. Il a une vraie pensée politique qui peut effectivement inquiéter les pouvoirs. Il était très populaire à l’époque de son incarcération. En le mettant en prison, on a empêché de parler un journaliste et un homme engagé. Nous avons immédiatement discuté politique. C’était à l’époque de la guerre du Kosovo. Il m’a parlé du conflit et de l’intervention américaine. Nous avons également évoqué la tuerie de Denver, la réflexion de Bourdieu sur l’Etat social qui se dirige vers un Etat pénal, ainsi que l’échec des Panthères noires qui n’ont pas su transmettre de valeurs à la nouvelle génération. C’est un intellectuel engagé, qui a une force inouïe, malgré son mauvais état de santé. J’ai dû écrire une lettre à Amnesty international à ce propos. Mumia sait pourquoi il est là et sait comment se battre. Il a fait le choix de ne pas demander de grâce car il garde l’espoir que le procès puisse être révisé. Il a renforcé ma conscience, si besoin était, de la nécessité de devoir se battre pour défendre les droits de l’Homme, la santé et lutter contre le racisme. Mumia est un symbole et un leader. Il faut à tout prix continuer à militer pour sa libération et contre la peine de mort, pour lui et tous les autres condamnés à mort.

Justement, existe-t-il un véritable débat sur la peine de mort aux Etats-Unis ?

Aline Pailler : Il n’en existe pas réellement. Même si certains intellectuels s’engagent, rien n’est encore réellement mené, sans doute parce que 38 Etats sur 51 ont maintenu la peine de mort. Et ce, même si à l’exemple de la Californie, certains n’ont pas connu d’exécutions depuis longtemps. On remarque que c’est majoritairement dans les anciens Etats esclavagistes que la peine de mort subsiste. Les principaux touchés sont les Noirs, les Indiens, les Portoricains et ensuite les pauvres ou les fous. Aux Etats-Unis, j’ai fait des conférences à Washington pour CNN, des agences de presse des journaux locaux ou d’Etat, sur Mumia et la peine de mort. Le jour même, quatre mandats de condamnation à mort ont été signés. J’ai été terriblement choqué et j’ai fondu en larmes avant de me ressaisir et de me révolter. Le plus terrible, c’est qu’en discutant hors interview avec des journalistes, je sentais bien qu’ils attendaient de moi des arguments pour être définitivement du côté des abolitionnistes. Il ne leur manquait pas grand chose, mais le débat n’étant pas mené aux Etats-Unis, ils avaient besoin d’être convaincus.

Quel soutien est aujourd’hui apporté à Mumia ?

Aline Pailler : Il a plusieurs avocats, il y a des ligues de soutien aux Etats-Unis. En Europe, la France est leader, mais le Canada le soutient également. A Philadelphie, il y a eu une importante manifestation fin avril, avec une forte délégation française qui a beaucoup impressionnée les Américains. Mumia reconnaît qu’il y a un déficit de mobilisation et de prise de conscience de la population noire américaine moyenne. La désinformation et la peur mènent souvent à la soumission.

Aujourd’hui, apercevez-vous une issue au cauchemar de Mumia?

Aline Pailler : Il faut un nouveau procès, avec un nouveau juge, et pourquoi pas dans un autre Etat. Tout est possible, cela dépend de la mobilisation et de la volonté politique de chacun. Il y a trois semaines, je suis allée à l’ambassade des Etats-Unis à Paris. J’ai rencontré le numéro 2 de l’Ambassade. Un homme très cultivé. Il a reconnu qu’aux USA, la peine de mort était une « peine de mort raciste ». Il nous a pourtant transmis un message d’espoir : plus la mobilisation sera forte, plus nous aurons de chance de faire évoluer les choses, de les faire changer. Notre mobilisation est une sorte de test. Sans elle, Mumia aurait déjà été exécuté depuis longtemps. Il faut continuer dans cette voie, alors Mumia pourra peut-être s’en sortir et d’autres avec lui. n

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *