La véritable nature du régime Habibie

La répression-extermination exercée par Djakarta, complice des milices locales, sur les citoyens du Timor a de nouveau braqué les projecteurs sur le régime fort indonésien et l’après Suharto. En juin dernier, en visite dans l’archipel, deux lecteurs de Regards écrivaient…

Djakarta, juin 1999.Après des années de révoltes souterraines matées par l’armée et la police, dans une coupable indifférence internationale, la répression militaire orchestrée par le général Suharto et ses complices a dû céder du terrain en 1996-97. Au mécontentement profond résultant de l’ordre armé est venue en effet s’ajouter la dégradation brutale du niveau de vie entraînée par la crise asiatique, à la suite de la dévaluation thaïlandaise. Après plusieurs mois de crise, les institutions issues de Bretton Woods (FMI, Banque Mondiale, OMC) ont fini par lâcher l’Indonésie, après lui avoir pourtant décerné des brevets de bonne conduite pendant plus de dix ans. Peu de temps après, la Banque centrale indonésienne decidait de « laisser flotter » la roupie, tout en maintenant la désindexation imposée par les politiques des rigueur.

Un « ami d’enfance et proche camarade » de Suharto

Les conséquences sur les prix des matières premières et des produits alimentaires de base ont été immédiatement catastrophiques pour la population. En deux ans, la part du revenu consacré à l’alimentation a doublé pour atteindre aujourd’hui les deux tiers d’un revenu moyen qui ne dépasse pas 800 dollars annuels par habitant. La pauvreté urbaine a explosé : on estime aujourd’hui que la proportion d’habitants sous le seuil de pauvreté est 5 fois plus élevée à Djakarta qu’au Bengladesh. Le chômage a atteint officiellement le quart de la population active, soit 40 millions de personnes. Les manifestations de 1996-97, ayant fait selon les sources gouvernementales plusieurs dizaines de victimes et des dizaines de « disparus » parmi les étudiants et les militants, ont forcé le vieux dictateur Suharto à céder le pouvoir àYoussef Habibie, « ami d’enfance et proche camarade ». Ce dernier, censé « gérer la transition », a dû, après une tentative de statu quo, face au fort mécontement populaire, concéder la tenue d’élections générales.

Double jeu du pouvoir et précarité de la population

Pour tenter d’endiguer la contestation grandissante, M. Habibie joue sur les deux tableaux religieux et économique. En témoignent d’une part les concessions faites aux franges les plus intégristes des partis musulmans ; d’autre part le discours martial d’ordre et de stabilité, tenu à l’intention des grands groupes financiers soucieux de la sécurité de leurs investissements. Les fuites de capitaux, orchestrées par les banques d’affaires et les grandes branches de l’industrie encore aux mains de la famille Suharto, atteignent plusieurs centaines de milliards de dollards en 1998. Pendant la campagne électorale de juin, comme au bon vieux temps du cinquième dragon asiatique, la prolifération des banques, des hôtels et des berlines de luxe rappelle que les affaires continuent.

Le spectacle du pillage de l’économie accompagnant la démocratisation des institutions, et le blocage du pouvoir économique (toujours aux mains d’une même poignée de généraux et d’intermédiaires) ressemble fort à un scénario à la russe en Indonésie. Dans ce contexte économique et social, les émeutes religieuses et sociales sont venues ajouter à la confusion politique. Prenant racine dans la précarité grandissante de la population, ces troubles témoignent des différences de développement entre les régions, et entre les groupes ethniques indonésiens. Orchestrées, d’après plusieurs sources d’opposition, par les forces spéciales de la police, ces troubles, prétendus ethniques et religieux, ont une triple conséquence.

Violence, incertitude, pouvoir autoritaire, intervention

En focalisant sur l’appartenance religieuse des multiples communautés qui forment l’Indonésie, ils ont ravivé les intégrismes dans un pays à la longue tradition de tolérance religieuse, et où les femmes voilées étaient quasiment absentes voici trois ans. En entretenant une situation de violence et d’incertitude, ils donnent l’illusion qu’un pouvoir autoritaire est toujours nécessaire en Indonésie. Enfin, en décourageant le tourisme, ils privent le pays d’une des dernières sources de devises qui peut profiter à la population. En même temps qu’une précarisation extrême de la société indonésienne, ces années de crise économique et politique ont amené une montée du fondamentalisme islamique, un durcissement des vestiges du pouvoir militaire et une menace d’éclatement de l’archipel aux 13 000 îles. Entre les intégristes du FMI et celui des forces d’un islam politique rétrograde, entre la menace de l’armée et celle de la misère de masse, le peuple indonésien fait incontestablement face aujourd’hui à un tournant à haut risque vers la démocratisation.

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