La Cosa, l’indicible

En 1989, le PCI change de dénomination. Le documentaire de Nanni Moretti, la Chose, est la chronique émouvante de cet abandon. Simple histoire de sigles ?

Un simple sigle. PCI ou PDS. Quelques lettres qui changent. En 1989, le Parti communiste italien décide de se transformer en PDS (Partico democratico della sinistra). Cette modification n’a rien d’anodin. Du jour au lendemain, des milliers de militants ont l’impression de perdre leur âme. Sentiment étrange d’assister, impuissants, à une métamorphose irrémédiable. Les cellules du parti se réunissent dans toute l’Italie. Des hommes et des femmes débattent de ce qui a été, pour beaucoup, le combat de leur vie. Nanni Moretti, le cinéaste de Journal intime et Palombella rossa, a éprouvé le besoin de filmer ces assemblées, d’enregistrer les interventions, les discussions interminables. Parallèlement, il n’oublie pas qu’il est réalisateur. La Cosa, le documentaire né de son enquête, porte son empreinte sans oublier d’être un précieux témoignage.

Ces militants, jeunes ou vieux, réformateurs ou non, sont tous liés par la parole. Exprimer ses réflexions, les répandre permet, avant tout, d’exister. Certains ne comprennent pas pourquoi Achille Occhetto, le secrétaire général du PCI, a voulu cette transformation. D’autres savent, clairement, ce qu’ils souhaitent pour l’avenir. Mais tous veulent parler. Il ne leur reste plus que cela. Ce flot de paroles ne peut manquer d’intéresser Moretti. Le langage était au centre d’une scène mémorable de Palombella rossa. Son personnage n’hésitait pas à gifler une journaliste parce qu’elle parlait mal. C’était la preuve, à ses yeux, qu’obligatoirement elle pensait mal. La Cosa est exactement le contraire. Chaque discours indique la profonde humilité de celle ou celui qui parle. Les propos nus dénotent une noblesse d’esprit particulière. Indépendamment de toute considération politique, Moretti nous montre pourquoi on peut se battre pour des idées.

Pourquoi on peut se battre pour des idées

Un militant dit, à un moment, qu’il ne veut pas que le communisme appartienne, simplement, à l’histoire du XXe siècle. Cette remarque a le mérite de poser la véritable question qui les anime tous. Ce nouveau parti, issu du PCI, va-t-il abandonner ses anciennes exigences ? Derrière une nouvelle appellation se cache, peut-être, autre chose. Une politique qui n’aurait plus rien de communiste. Cette peur est parfois énoncée au détour d’une évocation d’un rapprochement éventuel vers la social-démocratie.

La Cosa porte également les stigmates de l’histoire du Parti communiste. A de multiples reprises, il est fait allusion à la Seconde Guerre mondiale. Il y a, dans l’esprit de quelques-uns, comme un âge d’or où le PCI était au-dessus des autres. La résistance contre l’ennemi se confond avec l’idéologie révolutionnaire. Cette sacralisation est refusée par les plus jeunes. Le marteau et la faucille ne sont, à leurs yeux, que de vieux symboles . D’autres soulignent l’importance des événements des pays de l’Est (la Cosa se déroule juste après la chute du mur de Berlin). Moretti s’est demandé pourquoi il y est si souvent fait référence. Est-ce un simple facteur émotionnel ou bien le cordon ombilical n’a-t-il pas été entièrement coupé, comme le suggère un intervenant ? La réponse n’est pas apportée mais l’interrogation subsiste, troublante.

Le cinéaste n’a pas respecté, avec la Cosa, les règles habituelles du documentaire. Le montage haché, les coupures noires accentuent l’émotion. Le choix des militants à l’écran a été décidé, subjectivement, par Moretti lui-même. Son approche est à l’image de ceux qu’il a filmés. La sincérité l’emporte sur le calcul.

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