Voir aussi
Il n’y a pas de fatalité démographique On veut reculer l’âge de la retraite d’une part ; on l’avance d’autre part sous forme de plans massifs de préretraite. Discours schizophrénique.
Pour aborder correctement la question des retraites, il faut commencer par refuser les deux propositions du rapport Charpin. Le recul de l’âge de la retraite, d’abord : il n’aurait certainement pas pour effet d’augmenter le nombre d’actifs mais de faire baisser le poids des retraites. Il faudrait en effet attendre plus longtemps pour faire valoir ses droits ou bien accepter de prendre sa retraite à soixante ans mais avec une baisse sensible du taux de remplacement, c’est-à-dire du niveau de retraite en proportion du dernier salaire. Bref, le recul de l’âge de la retraite est une dévaluation de la pension.
La seconde proposition du rapport Charpin, le fonds de réserve, est une pure absurdité qui consiste à augmenter les cotisations tout de suite pour ne pas avoir à le faire dans quinze ans, en escomptant un rendement mirifique en réalité parfaitement aléatoire. Le rapport réalise même la prouesse de ne pas dire un mot sur le financement d’un tel fonds qui devrait pourtant mobiliser des sommes considérables pour avoir un quelconque effet. Cette imprécision s’explique aisément si l’on considère que la fonction principale d’un tel fonds est de servir de cheval de Troie aux fonds de pension. Les deux propositions font en effet système : en reculant l’âge de la retraite, on dévalorise les pensions, tout en mettant en place un fonds de réserve qui justifie le gel des taux de cotisation, et finalement on laisse les salariés (qui en ont les moyens) libres de compléter leur retraite par l’adhésion à un fonds de pension. Ces nouveaux produits, concoctés évidemment hors concertation, bénéficieraient d’avantages fiscaux ou d’exonérations de charges sociales de manière à les rendre attractifs (au moins dans un premier temps) par rapport à la répartition. On aurait alors réussi une jolie opération de « cannibalisation » de la protection sociale par la finance.
C’est pourquoi il ne faut pas mettre le doigt dans cet engrenage, en cherchant par exemple à définir de « bons fonds ». Que les patrons paient de bons salaires et il n’y aura pas besoin de les « compléter » par des produits financiers ou par on ne sait quelle TVA sociale. Le salaire est du salaire, qu’il s’agisse de celui des actifs ou des retraités. S’il reste bloqué, il faudrait être naïf pour croire qu’un montage fiscal ou financier, aussi habile soit-il, pourrait créer ex nihilo un revenu de complément équivalent.
Une réduction du temps de travail digne de ce nom
Pour assurer la pérennité des retraites, il est en revanche nécessaire d’instaurer, ou de réactiver, un certain nombre de règles. Il faut d’abord augmenter la part salariale, qui reste bloquée à 60 % de la valeur ajoutée des entreprises alors qu’elle était de 69 % il y a quinze ans. Le Plan fait ses projections avec une part salariale à 73 %, c’est bien la preuve que le niveau actuel n’est pas soutenable à moyen terme. Pour réaliser cet ajustement, le meilleur moyen est une réduction du temps de travail digne de ce nom. Elle devrait donc être assortie de créations d’embauches proportionnelles (et non de la flexibilité annualisée) ainsi que de la conversion pour tous ceux : et surtout toutes celles : qui le veulent du temps partiel en travail à plein temps (au lieu des exonérations de charge maintenues).
Ce niveau atteint, on pourrait fixer deux règles d’évolution intangibles. La première est que la masse salariale doit augmenter comme le revenu national. Autrement dit, une fois un niveau correct atteint, la part salariale reste constante. Sa remise à niveau se fait au détriment de la part des revenus financiers, de telle sorte que le profit investi n’est pas grignoté. Le taux de marge est donc constant, mais à un niveau inférieur à celui qu’il atteint aujourd’hui et qui excède les besoins de financement de l’investissement. C’est la norme que préconisait Lafontaine (salaire =productivité) contre celle qui est appliquée de fait, conformément au Livre blanc de Delors (salaire=productivité moins un point.)
Progression parallèle du salaire net et de la retraite
La seconde norme devrait être la progression parallèle du salaire net et de la retraite, à l’inverse de la situation prévalant depuis 1987, où les retraites sont indexées sur les prix. Le respect de ces principes permettrait alors de gérer l’augmentation du nombre relatif de retraités à l’intérieur du système par répartition, au moyen d’une augmentation progressive du taux de cotisation. Si une telle augmentation peut être présentée aujourd’hui comme insupportable, c’est en raison d’évolutions extérieures au régime de retraites, à savoir le blocage des salaires et la précarisation des carrières. Les ordres de grandeur sont pourtant raisonnables, par rapport à l’ampleur de la mutation que représente l’augmentation de l’espérance de vie. Dans le scénario le plus défavorable du rapport Charpin, il faudrait consacrer chaque année un demi-point de productivité pour accompagner l’augmentation du nombre de retraités. C’est moins que la ponction exercée depuis quinze ans par la finance au détriment des salaires.
L’avantage de la répartition est de régler pas à pas ces évolutions, alors que la méthode du rapport Charpin consiste à faire passer des projections mécaniques pour de la prospective. L’allongement de la durée de vie est pourtant une transformation considérable dont il est difficile de mesurer tous les effets et à laquelle la société peut réagir de bien des façons. Si vraiment on manque de bras, on peut par exemple imaginer que le travail à temps partiel imposé aux femmes devra reculer, ou que les représentations sociales vis-à-vis de l’immigration se modifieront. Ces deux facteurs, combinés à un retour au plein-emploi, suffisent à modifier de fond en comble les projections. Enfin, l’âge de la retraite est effectivement une variable-clé mais dont il est absurde de vouloir jouer tant que le retour au plein-emploi n’est pas garanti. On peut ensuite imaginer des ajustements progressifs, modulés, choisis, puisqu’on sera moins vieux à soixante ans en 2020 qu’on ne l’est aujourd’hui au même âge.
Le débat sur les retraites pose donc des questions de fond, et souligne notamment un énorme paradoxe. Tout repose en effet sur l’idée qu’on va manquer de bras et qu’il y aura trop peu d’actifs par rapport au nombre de retraités. Mais, en même temps, on postule l’ »inemployabilité » éternelle d’une partie des actifs potentiels. On débouche alors sur des discours véritablement schizophréniques : on veut reculer l’âge de la retraite, mais, au même moment, on l’avance sous forme de vastes plans de préretraite dans l’automobile et ailleurs. Derrière ces contradictions, se profile une crise systémique que résume finalement assez bien le terme décrié, mais précis, d’inemployabilité. Une proportion croissante des besoins sociaux croissants, et par conséquent les emplois qui leur correspondraient, sont déclarés « inéligibles » parce que porteurs d’une rentabilité insuffisante aux yeux du capital. On voit mal ce qu’une dose supplémentaire de finance pourrait y changer.
Nota bene : Le rapport Charpin porte le nom de l’actuel commissaire au Plan, son auteur.
* Economiste, co-auteur des Retraites au péril du libéralisme, Syllepse (v. encadré).
Laisser un commentaire