Les retraités, 21 % de la population totale aujourd’hui, en représenteront 33 % au siècle prochain. La part du revenu national qui leur est consacrée devra bien être relevée dans les mêmes proportions !
Le devenir du système de retraite n’est abordé qu’en termes de contraintes financières alors qu’il s’agit avant tout d’un débat de société. Certains pressent de conclure, sans doute avec quelques arrière-pensées. D’autres estiment qu’il est urgent de reporter toute réforme. La CGT, tout en combattant le catastrophisme qui ne peut servir que les tenants des fonds de pension, mesure l’ampleur des problèmes et veut contribuer à « conforter et renouveler le système de retraite par répartition ».
L’organisation syndicale est en phase avec les salariés : trois quarts d’entre eux s’inquiètent quant à l’avenir des retraites. Mais autant plébiscitent le système par répartition. C’est bien par défaut qu’une fraction non négligeable cherche individuellement des réponses dans les produits financiers.
L’importance de la population réellement active, une variable clé
Le système actuel de retraite doit faire face à trois problèmes désormais bien identifiés auxquels correspondent trois types de réponses. D’ici dix ans, le nombre annuel de départs s’accroîtra de 200 000 personnes. C’est la conséquence du « baby-boom ». Face à un tel choc démographique, hors l’organisation d’un « contre-choc emploi », ni l’augmentation des cotisations, ni la création d’un fonds de réserve, ne constituent des réponses appropriées. La capitalisation, elle, n’est d’aucun secours et aggraverait sans doute les problèmes. A cette échéance, la variable clé est celle de l’importance de la population réellement active. Seul un rythme de créations nettes de plusieurs centaines de milliers d’emplois par an sur la décennie peut amortir le choc démographique.
D’ici 2015, dans le cadre institutionnel actuel, il faut dégager 200 milliards de francs de ressources supplémentaires, soit l’équivalent de 2,5 points de PIB. Les chiffres du Commissariat général au Plan montrent qu’à cette échéance, la réduction du chômage peut permettre d’équilibrer les comptes du système de retraite. L’accroissement des recettes et la diminution des dépenses liées au sous-emploi dans une hypothèse de taux de chômage ramené à 3 %, permet même de dégager un surplus temporaire de capacités de financement.
En second lieu, l’allongement de la durée de vie qui est de trois mois tous les ans, accroît le nombre de retraités en diminuant le taux de décès. Ce mouvement qui, à la différence du précédent est très progressif, devrait se poursuivre, en se ralentissant, jusqu’en 2050. La durée moyenne de la retraite se trouve accrue relativement à la période d’activité. Pour compenser ce déséquilibre un faux « bon sens », repris par de nombreux experts depuis vingt ans, conduit à préconiser le recul de l’âge de départ à la retraite.
Le recul de l’âge de la retraite, un argument de faux bon sens
Dès 1980, le Commissariat général au Plan préconisait un allongement de la durée de cotisation à 42,5 ans. En 1986, le Commissaire d’alors évoquait 45 ans ! Aucun ne se demande si un tel allongement général ne va pas diminuer la durée réelle d’activité de nombre de cotisants. Or, une première simulation sur les hypothèses du Commissariat général au Plan, toutes choses égales par ailleurs, montre que l’allongement de la durée de cotisation à 42,5 ans ferait remonter le taux de chômage à 15 % ! Il faut augmenter la durée d’activité moyenne des futurs retraités, non en allongeant la durée de cotisation mais en cherchant à relever le taux permanent d’activité dans la population active, en favorisant l’intégration des jeunes, en limitant les mises à l’écart anticipées des salariés âgés, en prenant en compte les périodes de formation, en offrant à des centaines de milliers de salariés à temps partiel la possibilité, qu’ils revendiquent, de travailler à plein-temps.
Le danger d’une harmonisation des régimes par le bas
En troisième lieu, une plus grande solidarité entre régimes spéciaux et régime salarié du secteur privé ne peut consister à aligner les premiers sur une situation dégradée, ce qui aboutirait dans les deux champs à ouvrir un boulevard aux fonds de pension. La CGT récuse toute harmonisation par le bas et estime que la priorité est de stopper la dégradation enclenchée dans le secteur privé. Il faut reconsidérer les décisions prises depuis 1987, notamment la désindexation du calcul des retraites et mesurer l’extrême nocivité à long terme des accords ARRCO-AGIRC du 25 avril 1996. Si ces décisions devaient être maintenues en l’état, on assisterait à un véritable effondrement du niveau relatif des retraites du secteur privé par rapport aux salaires d’activités. Ce taux de remplacement baisserait à un quart d’ici 2020 et un tiers d’ici 2040, tombant en moyenne en dessous de 50 %. Cela veut dire qu’il faudra bien augmenter la contribution des entreprises et des budgets publics au financement des retraites, problème qui n’a pas vraiment été posé.
La solidité d’un système par répartition tient à la garantie d’un niveau donné de retraite aux futurs retraités. Si un doute s’installe sur cette garantie, les actifs vont déserter le système, au profit de solutions individuelles ou d’entreprises. C’est le basculement que veut entériner le patronat qui a annoncé qu’il voulait passer « d’un système à cotisations variables et prestations définies à un système à cotisations définies et à prestations ajustables ». C’est la régression amorcée dans le cadre AGIRC-ARRCO qui s’étendrait à la retraite de base.
L’exigence de modifier le mode de calcul des cotisations sociales
La seule manière de contrer cette dérive, qui fait le jeu de l’individualisme et des marchés financiers, est de se donner une garantie à long terme de taux de remplacement adaptés à tous les niveaux de salaires, notamment aux plus modestes. Cette garantie accroîtrait la visibilité pour tous les actifs d’aujourd’hui et serait facteur de solidarité. Si l’on veut maintenir le rapport actuel entre revenu d’activité et retraites perçues, il faudra, selon les hypothèses les plus réalistes, prélever 17 % environ du produit intérieur brut pour les retraites. En effet, si la part des retraités au sens large passe de 21 % à 33 % de la population totale, il faudra bien relever dans la même proportion la part du revenu national qui leur est consacrée. Comment opérer ce transfert ?
Si l’on y ajoute les autres contributions sociales, la cotisation sociale théorique représenterait l’équivalent du salaire net des actifs. C’est cette augmentation de la part du revenu national consacré aux retraites qu’il faut organiser afin qu’elle soit acceptée et qu’elle n’ait pas d’impact négatif sur l’activité. Cotisation salariée, cotisation patronale réformée et contribution spécifique sur les revenus financiers doivent globalement y contribuer. Avec les exonérations et la seule assiette salaire, les contributions des entreprises se sont relativement réduites. Il est normal que toute la richesse créée par les salariés serve à financer les retraites. Il est indispensable que les profits engrangés contre l’emploi soient mis à contribution. Le dossier des retraites justifie, par priorité, notre exigence de modification du mode de calcul des cotisations sociales afin d’accroître la contribution des entreprises.
Il faut donc refonder le système de répartition pour le siècle à venir, comme cela a été fait en 1945. Pour cela il y a besoin d’unité syndicale en France mais aussi de solidarités en Europe. C’est possible car tous les pays d’Europe continentale ont adopté et maintenu la répartition comme base de leurs systèmes de retraite. La CGT prendra ses responsabilités dans le débat qui va se développer à l’initiative du gouvernement. Cela passe par l’affirmation d’une démarche revendicative en matière de retraite et d’emploi pour répondre aux besoins des salariés d’aujourd’hui et de demain. L’unité des organisations syndicales est notre principal atout.
*Secrétaire de la CGT, responsable du secteur économique.
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