Les difficultés récentes de la droite ne sont que la éniè-me péripétie d’une longue histoire. Cette famille po-litique peine à se retrouver une cohérence. Elle es-père profiter de la scission de l’extrême droite.
Les origines de la crise de la droite remontent loin. Les datations divergent selon les analystes. Certains pensent les repérer dans des événements les plus récents : l’affaire de la présidence du conseil régional Rhône-Alpes, le ratage des élections anticipées de 1997, l’expérience Juppé ou l’affrontement Balladur/Chirac. D’autres insistent sur la posture idéologico-progressiste que crut devoir prendre une partie de cette droite, et qui brouilla son image, depuis 1981, ou depuis Giscard d’Estaing, ou même Pompidou, voire 1968. Certains enfin prétendent que la droite ne s’est jamais vraiment remise du gouvernement Pétain où, peu ou prou, toutes ses grandes figures d’avant-guerre furent compromises. En fait, toute l’histoire de la droite est une saga mouvementée, comme si la crise était une façon d’être chez elle.
C’est une superposition de crises qu’elle traverse à présent.
Une crise d’abord idéologique.
La droite est en panne de programme. Depuis des années, lors des élections, elle ne présente que des plate-formes minimales. On la sent tiraillée entre différentes tendances. Le libéralisme exerce sur elle une formidable attirance. Un homme comme Madelin en est le dernier avatar, et sa devise est en quelque sorte le marché sans la république. Mais la place d’un libéralisme à la française est étroite, dans ce pays où la tradition de régulation sociale est enracinée. Le gaullisme fascine et agace en même temps. C’est plus une attitude politique qu’un projet globalisant, et son discours interclassiste, participatif, une des formes de l’exception française, tend à tomber en désuétude. Séguin vient d’en faire l’expérience. De son côté, l’aile démocrate-chrétienne, intégrée à la droite classique depuis des décennies, est sans fortes assises. Or, en dernière instance, ces trois courants participent d’une pensée unique qui sert les intérêts de ses mandants mais perturbe la fonction de ses organisations.
De surcroît, la concurrence de l’extrême droite l’a fragilisée. Dans les années quatre-vingt, alors que la droite se voyait reproché son manque de liens avec l’intelligentsia, son absence d’intérêt pour le débat d’idées, l’extrême droite se lançait quasiment seule dans de vraies recherches d’alternative, qui donnèrent la nouvelle droite.
C’est aussi une crise de légitimité.
Etre de droite, c’est diriger. C’est du moins ce qu’on pense dans cette famille. Or la gauche lui a pris le drapeau de la gestion. La Sofres teste régulièrement l’image respective de la droite et de la gauche sur 17 grands thèmes du débat public (économie, social, culture, sécurité, international). La gauche apparaît plus efficace pour 14 d’entre eux, la droite ne sauve les meubles que dans trois domaines : immigration, institutions, défense.
De plus, alors que la crise de la politique est générale, la droite a peu, ou pas du tout, renouvelé sa façon de faire de la politique : non-rajeunissement des cadres, faible démocratisation des appareils.
Enfin la droite semble plus touchée que d’autres par les affaires : affaires Léotard, Carignon, Médecin, Arreckx, Mancel, Giraud, Roussin, Schuller, Juppé, Tiberi (et demain Chirac ?). Une telle accumulation finit par porter un coup à sa « légitimité morale ».
Une crise de popularitéégalement.
La courbe de popularité établie par le Figaro-Sofres depuis vingt ans montre que la cote de ces partis est au niveau de 1981, après avoir connu une courbe ascendante entre 1981 et 1986, une rechute de 1986 à1990, une reprise de 1990 à 1993 et : sauf une petite pointe en 1995, lors de l’élection présidentielle : une chute libre depuis six ans. La courbe électorale est proche. Si la droite républicaine conserve un fort capital de voix, elle est en régression sensible depuis vingt ans : elle totalise 47,9 % en 1978, 42,9 en 1981, 44,6 en 1986, 40,5 en 1988, 44,1 en 1993 et 36,2 en 1997. Les derniers sondages (1) montrent que le total de la droite républicaine demeure sous la barre des 40 %, soit une période de basses eaux.
Une crise d’autorité enfin.
Non seulement d’âpres batailles de pouvoir traversent les différents appareils mais ceux-ci se livrent une rude concurrence pour s’assurer l’hégémonie à droite. Dans le même temps, la cohabitation lui complique la vie. Le président Chirac en tire un incontestable prestige : c’est à sa fonction qu’il le doit, à son titre de chef de l’Etat. Les retombées politiques sont à peu près inexistantes pour la droite qui se retrouve souvent partagée entre le soutien qu’elle doit apporter au président et l’opposition qu’elle veut manifester au gouvernement.
Cet état des lieux a suscité d’ailleurs une floraison d’ouvrages (2) où des intellectuels de droite, plus ou moins en marge des formations, des appareils en tout cas, se livrent à une réflexion autocritique, cherchent à reconstituer l’identité de leur famille politique, à la doter d’un projet original de société. Ces auteurs plaident souvent pour une droite droitisée, qui s’assume comme telle et liquide en son sein l’héritage de 1968.
De leur côté, des commentateurs s’interrogent sur les retombées de la crise de l’extrême droite. La scission du Front national a « libéré » des électeurs qui ne se retrouvent guère dans les deux formations extrémistes concurrentes. Certains, au RPR, à Démocratie libérale, espèrent les retrouver de même qu’ils envisagent la possibilité d’une rencontre avec le courant mégrétiste.
Pour beaucoup, la recomposition de la droite (tant sur le plan de l’organisation, du programme que des alliances) va dépendre du rapport des forces sorti des urnes au soir du 13 juin. Celle-ci urge car, pour reprendre une expression du chercheur Gilles Ivaldi (3), « en l’état actuel des choses, la droite républicaine ne paraît avoir ni les moyens, ni la force de supporter un nouveau séisme de l’ampleur de ceux qu’elle a déjà affrontés en 1997 et 1998 ».
1. Au moment où cet article a été rédigé, à la mi-mai.
2. Pour en finir avec la droite de Roland Hureaux ; Comment peut-on être de droite ? de Paul-François Paoli (Albin Michel) ; le Livre noir de la droite d’Eric Zemmour (Grasset) ; le Roman de la droite d’Eric Branca, la Nouvelle Solution libérale de Guy Sorman (Fayard).
3. Gilles Ivaldi, « La droite dans la tourmente », Regards sur l’actualité, décembre 1998.
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