Le sous-développement est la cause du désarroi de l’Afrique. Or, « l’Afrique ne doit pas se laisser étouffer par la science occidentale, elle doit se garder d’adopter tout le système occidental ». Il lui faut se trouver « une éthique », apprendre son odeur….
L’Afrique s’enlise dans les problèmes et l’Etat est impuissant. L’Afrique est malade d’elle-même. Des études se demandent si elle va mourir, d’autres en sont persuadées. Certaines prophétisent un redémarrage de l’Afrique : leur espoir est un leurre. L’Afrique est dans une situation que l’on peut qualifier de « méga crise ». La science et la technologie de l’Occident sont ancrées sur ce continent. L’odeur de l’Occident, « l’odeur du père », se propage. L’Afrique doit se demander ce qu’elle doit faire de la science occidentale. Elle doit se demander comment elle peut l’adapter à ses spécificités. L’Afrique ne doit pas se laisser étouffer par la science occidentale, elle doit se garder d’adopter tout le système occidental.
Modes de développement
L’antilope conseille aux autres animaux : « Mesurons nos cornes à la dimension de notre tête. » Cependant, « l’oiseau ne vole pas avec la plume de son congénère ». Il ne vole même pas avec la plume de son père et de sa mère. Les laboratoires de recherche occidentaux sont occidentaux, la science occidentale est occidentale. Ces outils ne sont pas ceux de l’Afrique. L’Afrique doit se construire avec le concours de l’Occident mais elle ne doit pas se laisser asservir. « Le porc-épic est une viande délicieuse mais ses entrailles sont amères. » L’Afrique doit être vigilante aux questions d’éthique, de politique, de philosophie et de science.
L’Occident peut avoir des effets néfastes sur l’Afrique. Dans mon village natal, situé à 2 000 kilomètres de Kinshasa, des enfants regardent France 2 sur la télévision du village. Ces enfants, analphabètes, regardent des jeux comme « le Millionnaire » sans le moindre recul. J’ai été malheureux de les voir sans défense devant l’image de l’Occident. Dans les villages en effet, les Africains ne sont pas capables de faire une lecture critique des images. Les films diffusés après 22 heures détruisent notre culture, notre tradition et nos rapports familiaux.
Le mélange plutôt que la clôture
L’Afrique doit être africaine et son développement ne doit pas être boiteux. Par conséquent, son développement ne peut pas exclure l’Occident. Nous ne prétendons pas découvrir un modèle de développement idéal. Cependant, nous nous interrogeons sur la place que doit occuper l’Occident dans le développement de l’Afrique.
1. La prise en compte de l’autre. Nous n’entendons pas nous développer à l’abri de toute influence. « L’habitant du hameau n’entend pas le tam-tam. » Autrement dit, l’Afrique doit quitter le hameau pour aller à la rencontre de l’Occident. « Qui reste dans la maison ne voit pas la lune. »La démarche identitaire doit intégrer l’altérité. Le développement ne peut se faire que par la communication.L’apport de la science africaine est une invitation à approfondir le sens de la condition humaine. Elle invite notamment à se pencher sur les notions de liberté, de solidarité, d’hospitalité. Ces questions ne relèvent pas de la science mais de l’éthique. »Il n’y a plus de bosquet où le singe est stupide ». L’Afrique a été contaminée par les mensonges de l’objectivité. Une thèse, développée aux Etats-Unis, a apporté « les preuves bibliques et scientifiques de ce que le Noir n’appartient pas à la famille humaine ». Hegel considérait que « l’homme en Afrique, c’est l’homme dans son immédiateté, c’est l’homme naturel dans toute sa barbarie. […] Les nègres ne connaissent ni Dieu, ni Loi, ni religion, ni Etat ». Le philosophe allemand situait le destin de l’Afrique dans le rattachement à l’Europe.On peut comprendre la méfiance qu’éprouve l’Afrique devant l’Occident. « Qui a été mordu par un serpent se méfie de la liane. » L’homme n’est pas un objet. Il faut comprendre chaque homme et le respecter. J’ai ainsi apprécié que le dernier colloque de Côte-d’Ivoire ait invité les « tradithérapeutes » africains. Ces personnes ne sont pas des médecins en ce qu’elles n’ont pas prononcé le serment d’Hippocrate. Pourtant, elles détiennent un savoir. Ce geste signifie l’humilité de la science occidentale face aux savoirs de l’Afrique.Les scientifiques devraient faire preuve de plus d’humilité face aux décrets de la loi « technico-économico-scientifique ». Ils devraient cesser de fétichiser la science et de porter aux nues les sommités scientifiques.
2. La prise en main de son développement. Le chemin sera long pour développer l’Afrique. Il demande de la réflexion et du sérieux. L’Afrique doit être responsable de son développement. A cet effet, elle doit développer une éthique. Les solutions clés en main ne constituent pas des solutions viables. Chaque pays doit prendre en main son développement plutôt que de se laisser développer par autrui. Certains parlent de coopération lorsque 2 500 ingénieurs français, 4 000 ressortissants des Etats-Unis, 3 000 Japonais et seulement quelques Zaïrois travaillent sur un barrage !L’Afrique doit apprendre que l’Occident ne détient pas le monopole du savoir : le savoir occidental n’est qu’une contribution au savoir, aussi fragmentaire et provisoire que les autres contributions. L’Afrique doit prendre conscience qu’il existe une sagesse du jour: la science occidentale : et une sagesse de la nuit : le savoir africain. Nous devons articuler ces deux connaissances pour acquérir une vision globale du réel.Nous aurons accompli un progrès énorme lorsque nous aurons compris que, selon le mot de Michel Serres, « il n’y a de pur mythe que l’idée d’une science pure de tout mythe ». L’ethnocentrisme épistémologique est un mythe, tout comme la « clôture métaphysique ».Il est difficile de se connaître soi-même. On connaît mieux l’odeur du père que la sienne. L’Afrique a appris la langue, la philosophie, la technoscience et les usages de l’Occident. En revanche, elle ignore sa propre culture. A l’école, il m’est arrivé d’être fouetté parce que je ne m’étais pas exprimé en français. Désormais, je sais écrire et parler en français mais je suis analphabète dans ma propre langue.L’Afrique ignore son odeur. Elle ignore ses capacités, son génie et ses limites. elle ne connaît d’elle-même que l’image qu’on lui renvoie. Il s’agit de l’image d’un pays sans science, sans art, sans culture, sans religion ni philosophie, autrement dit un pays sans humanité.Le bébé connaît l’odeur de sa mère. Il se définit, par procuration, comme l’enfant de sa mère. Pour vivre, il faut couper le cordon ombilical. Ce lien avec la mère est synonyme de développement mais aussi de dépendance. Il faut savoir couper ce cordon dans les règles. Si l’on procède de manière artisanale, à la façon d’un apprenti sorcier, on apportera l’indépendance mais aussi la mort.
* Universitaire du Zaïre, professeur associé à l’Université de Lyon III.
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