Nigéria, le grand gâchis

« Obansanjo président », Obansanjo élu par le peuple… Le général va pouvoir s’installer dans l’immense forteresse de la ville, hôte des multinationales, Abuja, la capitale du Nigeria ! Cette ville nouvelle, aux bâtiments Bouygues et Fougerolles et aux feux clignotants, a un défaut : la piste de son aéroport se trouve entre plusieurs talus rocheux et comme la région est souvent sous les brouillards, les accidents d’avions y sont fréquents. C’est à l’image du pays : l’atterrissage est souvent à grand risque. Quel sera l’avenir d’un pays ruiné par la gabegie de ses gouvernements, la ruine de son agriculture, et la chute du cours du pétrole ? Ou la population s’est habituée à un régime de survie quotidienne, sans droit ni protection ? Pourra-t-on parler de droits de l’Homme dans un pays ou chacun craint, pour un prétexte inventé, d’être envoyé à la prison Kirikiri, vaste mouroir, depuis longtemps privée de toute surveillance sanitaire ? Ou les agents du SSS (State Security Service) peuvent à tout moment confisquer les passeports (en exemplaires uniques) ou exercer leur violence en toute impunité ? Que se passera-t-il après l’espoir d’une élection sans victimes et sans heurts, à peine truquée, et douloureusement calme ?

L’appareil d’Etat est, au Nigeria, confondu avec la hiérarchie militaire. Les ethnies qui composent le pays sont organisées en royautés et quand l’armée est gardienne de l’esprit fédéral, elle protège de l’éclatement et de la guerre civile. Sous le régime des généraux, elle s’est introduite dans la plupart des rouages de la vie civile. Le droit des citoyens a fait place au droit des casernes. Ce système a défini les militaires comme seuls garants de la stabilité politique et de la paix sociale. Chaque comportement non contrôlé devenant prétexte d’emprisonnement : des pratiques supposées de sorcellerie au fait d’avoir recours au change non officiel. Les communautés villageoises du Delta du Niger ont gravement souffert de cet arbitraire, suspectées de séparatisme depuis la guerre du Biafra, minoritaires au sein de l’armée, loin des grandes villes et de l’attention internationale. L’attitude des multinationales occidentales a contribué à cette situation. En janvier, en pleine transition, la société américaine Chevron a prêté ses bateaux et un hélicoptère à l’armée pour intervenir contre les villages Ijaws du Delta en rébellion contre la surexploitation de leurs terres. La collusion des intérêts entre les sociétés internationales et la caste militaire au pouvoir est au centre de la question des droits de l’Homme au Nigeria. En août prochain, le gouvernement devrait ouvrir le marché aux parts d’exploitation pétrolière des hauts fonds marins. Chevron convoitait depuis longtemps cette opportunité. Les décisions se prennent au niveau fédéral, à Abuja, loin de la misère des anciens villages de pêcheurs.

L’ancien général Obasanjo peut-il trahir les intérêts des militaires, seule solution pour reconstruire une société civile au Nigeria ? Son dernier geste de relâcher les anciens responsables du coup d’Etat montre qu’il se préoccupe d’abord de son milieu, de ses amis. Et il sait que l’ouverture de ses marchés au commerce mondial satisfera assez son allié américain pour qu’il puisse y sacrifier le respect des droits élémentaires. Sa « transparence » risque d’être plus commerciale qu’humanitaire et le Nigeria, ancien modèle de société civile avec la première université d’Afrique (celle de Kaduna), ses infrastructures gigantesques des années 70, restera, pour l’an 2000, le grand gâchis des indépendances africaines.

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