A quoi sert l’Alliance atlantique?

Face à la superpuissance américaine, une autonomie stratégique européenne est-elle possible ? Pour quelle ambition et sous quelles formes ?

Les derniers raids militaires sur l’Irak préfigurent-ils l’ordre que les Etats-Unis voudraient voir institutionnaliser, lors du sommet de l’OTAN en avril prochain à Washington ?

On peut se demander si la sécurité n’est pas en passe d’être conceptualisée par un nouvel Empire et son ordre militaire. L’OTAN serait-elle donc un horizon indépassablependant que l’OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) aurait pour destin de se marginaliser chaque jour davantage ? Les jeux sont-ils faits, est-il possible encore d’infléchir et d’inverser les tendances ? Peut-on investir les contradictions qui se manifestent, pour développer l’intervention citoyenne ?

Pro memoria : l’identité européenne de l’OTAN

La pièce centrale du sommet d’avril se joue dans l’élaboration d’un nouveau concept de l’Alliance atlantique. Il s’agit fondamentalement d’ajouter à la mission de défense collective à une agression contre les pays membres, axe central du traité original de 1949, celle qui deviendrait sa première mission désormais : la gestion des crises. Une mission qui naturellement prétendrait s’exercer bien au-delà de l’aire géographique d’origine de l’Alliance. Tous azimuts en fait avec néanmoins quelques priorités comme le Proche-Orient, l’Afrique centrale, le Sud-Est asiatique. Une mission qui, de surcroît, entendrait être laissée à la discrétion de l’OTAN, laquelle « souverainement » pourrait intervenir militairement partout, à n’importe quel moment, sans mandat explicite des Nations unies, par simple référence à sa Charte.

La modification de l’article 5 du traité original est aussi en projet, en particulier son noyau dur appelé communément « la clause mousquetaire » : « Un pour tous, tous pour un. » En clair, élargir la définition des intérêts communs en incluant comme à l’origine l’obligation pour tous de les défendre dans une solidarité quasi systématique. Plus clair encore, élargissement fonctionnel de l’organisation, pour lui permettre de faire face à toute la gamme des intérêts américains en Europe et au-delà. Intérêts communs et objectifs américains se trouveraient ainsi confondus.

On comprend assez aisément que de tels projets aient quelque peine à susciter l’enthousiasme des autres membres de l’Alliance. La réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN à Bruxelles les 8 et 9 décembre 1998 a été le reflet de divergences qui peuvent laisser présager de sérieux affrontements d’ici avril. C’est le cas en particulier entre les Etats-Unis et certains pays européens, parmi lesquels la France et l’Allemagne. Ces divergences portent notamment sur la définition des missions essentielles de l’Alliance, et sur la nécessité pour toute intervention militaire de disposer d’un mandat explicite de l’ONU. « L’OTAN n’a pas vocation à s’occuper de tout et à dire le droit international » estiment ces pays. Le consensus en trompe-l’oeil dans les rapports transatlantiques apparaît bien fissuré.

Gestion collective des crises planétaires : english spoken !

Cette réunion de Bruxelles fut aussi l’occasion d’une mise au point significative concernant l’identité européenne au sein de l’OTAN. A ceux qui pouvaient se bercer encore de quelques illusions, le secrétaire d’Etat américain, Madeleine Albright, dans le langage direct qui fait le charme des dirigeants américains, a tenu à mettre « les points sur les i ». Visant le conseil de sécurité, elle a déclaré : « l’Alliance ne peut être l’otage du veto de tel ou tel pays contre une opération », « la force de l’OTAN, c’est sa capacité à pouvoir agir d’elle-même ». Et, plus précisément concernant l’européanisation de l’Alliance, « Nous ne voulons pas que l’identité européenne de défense sape la vitalité de l’OTAN. » Veto concernant tout découplage décisionnel, toute duplication des structures de commandement, on ne peut être plus clair. Pour faire bon poids, Madeleine Albright a cru bon d’ajouter, au regard de la nouvelle mission de l’OTAN : « Pourquoi les Etats-Unis devraient-ils partager la puissance avec un partenaire européen, au demeurant hypothétique dans ses engagements ? » Comme on le voit, le curseur des adaptations de l’Alliance est bien bloqué sur la position américaine. Prétendre affirmer une identité européenne réelle au sein de l’Alliance atlantique relève des travaux d’Hercule. Le rôle de l’organisation est perçu par les Etats-Unis sur la base d’événements qui se voudraient « précédents » comme Dayton et l’IFOR dans la situation bosniaque ou la réaction à des « Etats voyous » comme l’Irak.

L’histoire du piano atlantique et du tabouret français

Jusqu’où iront les divergences exprimées d’ici le sommet de Washington ? Vers un statu quo sur le concept stratégique de 1991 comme cela est évoqué parfois ? Quelle sera la position des autorités françaises ? Il y a quelques années, Hubert Védrine, qui n’était pas encore ministre, avait, dans le relationnel France-OTAN, utilisé une image, « tenter de rapprocher le piano atlantique du tabouret français ». Ce fut une expérience sans résultat. Depuis décembre 1995, sous l’impulsion de Jacques Chirac, le processus amorcé serait plutôt de rapprocher le tabouret du piano, ce qui semble de prime abord plus simple. Mais on ne peut occulter la question essentielle : pour interpréter quelle partition ? Les Etats-Unis semblent bien l’avoir déjà composée.

L’administration Clinton ne semblant guère encline, c’est un euphémisme, à discuter du rééquilibrage de l’Alliance souhaité par les Européens, une autre voie est à trouver pour affirmer une autonomie stratégique européenne. Comme le soulignait Francis Wurtz, lors d’une récente table ronde euro-américaine (1) : « Les conditions mûrissent d’un débat de fond qui ne pourra pas éluder l’allégeance faite à l’OTAN par l’Union européenne dans le traité de Maastricht, lequel précise qu’une éventuelle défense européenne devrait être compatible avec les principales orientations de l’OTAN. » Un débat déjà amorcé dans le processus de ratification du traité d’Amsterdam. Alors une autonomie stratégique européenne à promouvoir, sans aucun doute, mais pour quelle ambition ? S’agirait-il d’un équilibre de puissance avec un pôle autonome, recouvrant les mêmes visées stratégiques que les Etats-Unis ? Un pôle concurrentiel en quelque sorte. Ne convient-il pas, au contraire, d’élaborer en commun une politique de sécurité montant les capacités européennes à dénouer les situations conflictuelles, proposant en premier lieu des solutions alternatives à la force, axées sur la négociation et le règlement politique, reléguant les options militaires au dernier recours sous des formes spécifiques et sous strict contrôle des Nations unies ? On dira sans doute que ce n’est pas une option facile, au regard des contradictions qui existent entre pays de l’Union européenne. Mais y a-t-il une autre voie, sinon celle de la résignation ? Dans tous les cas, il est de l’intérêt de la France de s’y investir pleinement. L’évolution de la situation internationale recèle peut-être plus de possibilités que l’on imagine. Une telle option des pays de l’Union s’inscrirait naturellement dans une revitalisation d’une organisation pan-européenne comme l’OSCE. Une organisation qui offre une alternative crédible à la ramification développée par l’OTAN sur le continent avec son élargissement et les différentes formes de partenariat. Les atouts dont dispose l’OSCE sont importants. Son atout essentiel face à l’OTAN n’est-il pas de regrouper tous les pays du continent sans exclusive, sur un pied d’égalité en fondant, à partir des principes d’Helsinki, son action sur une tout autre conception de la sécurité ?

Octobre prochain, à Istambul : faire jouer les atouts de l’OSCE

En devenant une organisation régionale de l’ONU en plein exercice disposant de moyens, elle peut être l’organisation privilégiée en matière de prévention et de sécurité pour les pays du continent avec une ouverture vers nos voisins du Sud. Ajoutons que sa composition euro-américaine peut lui permettre aussi de maintenir, mais sur d’autres bases, un lien transatlantique étroit. Le prochain sommet de l’OSCE qui se tiendra en octobre à Istambul ne peut-il, avec notamment l’adoption d’une Charte sur la sécurité du continent, en affirmer l’orientation ? Dans un entretien accordé à l’Humanité en mars, le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, soulignait que « la France a montré à plusieurs reprises sa capacité d’initiative et de proposition ». N’est-ce pas l’occasion pour notre pays de faire entendre une nouvelle fois sa voix ? La rénovation et le renforcement de l’OSCE constituent sans aucun doute le moyen le plus sûr de contrer l’offensive de l’OTAN et d’assurer une sécurité partenaire en Europe.

Comme l’évoquait, lors de la table ronde euro-américaine, Francis Wurtz, : « Le PCF souhaite que les conditions se créent d’un dépassement de l’OTAN, et il agit dans ce sens. » N’est-ce pas avoir là une approche constructive et bien à jour des réalités de l’Europe et du monde d’aujourd’hui ? Une approche permettant de susciter l’intervention citoyenne, gage d’une réorientation progressiste, dans ce domaine comme dans les autres, de la construction européenne, et d’une sécurité commune à tous les peuples.

1. « Quelle sécurité en Europe pour l’an 2000 ? ». A l’initiative du département international du PCF, une table ronde regroupant élus, experts nord-américains, européens de l’Est et de l’Ouest, s’est tenue le 11-12-1998 au château de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Une publication des travaux est envisagée.

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