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Abécédaire 2000 Retenue par la Mission 2000 en France pour son caractère symbolique majeur, la Méridienne verte de Paul Chemetov traversera la France, de la mer du Nord à la Méditerranée, et achèvera sa course en Catalogne.
Parmi toutes les manifestations qui marqueront les célébrations du passage au troisième millénaire, certaines auront une durée de vie de quelques heures, d’autres de quelques jours ou de quelques semaines, certaines, comme les commandes publiques faites à des artistes (Dan Graham et Jeff Wall pour un pavillon des enfants à la fois sculpture, dispositif optique et architecture à Blois) ou des designers (création d’aires de jeux coordonnée par Martine Bedin) davantage, mais aucune d’entre elles ne pourra se targuer d’accompagner si intimement le prochain millénaire dans sa naissance et son développement, que la Méridienne verte imaginée par l’architecte Paul Chemetov.
La France des Lumières et de l’universalité
L’heureux père du projet ne laisse là-dessus planer le moindre doute : « Mon action n’est pas dans l’événementiel. Elle est dans le temps, dans la gestion du temps. Je ne voulais surtout pas de quelque chose de figé, ni d’une Tour Eiffel de trois mille mètres de haut comme celle dont rêvent tous les architectes en mal de Viagra ! » Et de revenir sur la genèse et la philosophie de ce tracé vert : « Dans les discussions (celles du comité de réflexion de soixante membres issus de tous les secteurs du savoir mis en place par la Mission), il est vite apparu que si le côté « feu d’artifice » était amplement pourvu, la commémoration matérielle, la mémoire pour utiliser une autre terminologie, était absente. Ma première idée a donc été de proposer à Jean-Jacques Aillagon (le président de la Mission 2000) une plantation d’arbres en ligne. Une vieille habitude française, les chaînes druidiques, les arbres de la Liberté, ceux que l’on plante à la naissance d’une fille ou d’un garçon, l’arbre est natif, païen. Et j’ai continué à réfléchir. La question étant « Qu’est-on en train de célébrer ? » Et d’abord dans quel calendrier ? Le juif, la mahométan, le bouddhiste, le catholique, l’orthodoxe qui n’est pas le même ? Non. On célèbre la mesure, la mesure du temps. Or, le Méridien de Paris : Denis Guedj raconte, dans un roman remarquable (1), comment, dans des conditions incroyables, en pleine tourmente révolutionnaire, avec des instruments très simples qui étaient le cercle répétiteur, des jumelles, des échafaudages de planches, Delambre et Méchain, à la suite des Cassini, s’essayèrent à mesurer la Terre de Dunkerque à Barcelone en se trompant seulement d’à peine quelques secondes d’arcs : ce méridien a été, avant que les Anglais avec leurs cousins américains nous en débarrassent en 1878 puis définitivement en 1911, le méridien zéro de la mesure du temps. Et quand Condorcet devant la Convention lance l’idée d’une mesure universelle dont Borda décidera du nom, le mètre, il a ce slogan : « Pour tous les hommes, pour tous les temps », qui deviendra à son adoption en 1799 : « Pour tous les peuples, et pour tous les temps ». Ce passage des « hommes » aux « peuples », c’est vraiment la France dans son rapport au monde, le thème même de cette commémoration, la France des Lumières et de l’universalité. »
Une « ligne de morse » végétale géante
Concrètement, cette sorte de « ligne de morse » végétale géante, dont le coup d’envoi a été donné officiellement le 25 novembre dernier à Saint-Martin-du-Tertre (Val d’Oise) en présence de Catherine Trautmann, ministre de la Culture, et de nombreux élus locaux et régionaux par la plantation d’un premier alignement de jeunes chênes, comptera environ dix mille arbres, traversera 337 communes depuis Dunkerque, vingt départements, huit régions, et la Généralité de Catalogne pour aboutir à Barcelone. Un système de bornes et de mires reprenant le logotype « 2000 en France » d’Eva Kubinyi et Ruedi Baur a été prévu, ainsi que la réalisation de plus de cent kilomètres de sentiers de randonnée s’ajoutant à ceux existant pour pouvoir véritablement serpenter tout au long de la ligne.
En régions, des paysagistes ont la charge du projet (Chemetov/Ile-de-France, Flipo-Berlin/Nord-Pas-de-Calais, Vachelot-Vexlard/ Picardie, Osty/Auvergne, Geoffroy Dechaume/Limousin, Desvigne-Dalnoky/Midi-Pyrénées, Margherit/Languedoc-Roussillon).
Un projet qui se mène sans expropriations
Pour Charles Dard, qui s’occupe du Centre avec Claire Corajoud, la motivation est d’autant plus forte que le travail est mené de manière très inhabituelle : « Traditionnellement de tels projets sont conçus dans des bureaux d’études, loin du terrain, éventuellement débattus entre politiques, le plus souvent à Paris, et ensuite seulement confrontés au terrain. Or un grand projet de paysage n’est un succès que s’il bénéficie d’un enracinement, qui n’a lieu qu’à condition du bon vouloir des habitants qui sont les premiers concernés. Pour qu’une telle responsabilisation s’opère, il faut qu’ils se sentent eux-mêmes auteurs du projet. Et c’est cette question de l’« auteurat » qui me semble complètement revisitée par l’idée de Méridienne verte. » De l’enthousiasme qu’elle suscite, Paul Chemetov se félicite, avouant n’avoir jamais eu un tel effet retour sur un projet. « Un projet qui se mène sans expropriation, qui met « on the line » une commune de vingt habitants et Paris, et dans lequel ce pays rural transformé à coups de bottes en pays urbain a la possibilité de se retrouver. » A l’Etat, il en coûtera un peu moins de cinquante millions de francs, un rapport qualité-prix qualifié d’ »exemplaire » et rendu possible seulement « parce qu’il s’agit d’une action politique au sens le plus intéressant, c’est-à-dire d’une action symbolique. Ce symbolique qui fait si cruellement défaut aux débats d’aujourd’hui ». Pour la petite histoire, une grande fête aérienne est annoncée le 14 juillet 2000, au-dessus des arbres.
1. La Mesure du monde : 1792-1799, éditions Robert-Laffont, 1997, 304 p., 129 F.
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