Chiffres à l’écran

Les Français retrouvent le chemin des salles obscures », titrait le journal la Tribune, le 29 décembre dernier. Les nuages noirs du début des années 90 semblent s’être définitivement éloignés. Avec 170 millions d’entrées ( 14%), la France est revenue à son niveau de 1985. Plusieurs facteurs déterminants ont contribué à établir ce bon résultat. Au premier rang, on citera bien entendu le succès du Titanic de James Cameron. Avec ses 20,8 millions de spectateurs, il représente à lui seul 12,2 % des entrées sur l’année. En partie grâce à ce film, les mois de janvier et février ont connu une hausse de fréquentation, respectivement de 59,3 % et 64,9 %. Ensuite il y a l’incontestable succès rencontrés par les multiplexes qui se sont implantés en masse sur l’ensemble du territoire.

En 1999, les habitants de la seule région parisienne devraient avoir le choix entre 17 de ces usines à images. La Mairie de Paris a d’ores et déjà gelé les autres projets pour au moins deux ans car, si les multiplexes drainent de nouveaux spectateurs (et en incitent d’autres à se rendre plus souvent au cinéma compte tenu du nombre de films présentés et de la proximité), les salles indépendantes sont menacées. Cependant, selon le baromètre de la Fédération nationale des cinémas français, les petites et moyennes exploitations ont profité de la hausse de fréquentation, enregistrant une croissance respective de 19 % et de 15 %. Mais la menace est réelle, puisque, pour quelques francs de différence, les multiplexes offrent un confort très nettement supérieur et qu’un nombre sans cesse croissant de films y sont présentés en exclusivité. Hormis quelques cinéphiles, qui s’intéressera à un cycle Lubitch en 1999, alors que sont déjà annoncés Astérix et Obélix contre César de Zidi, the Phantom menace (le nouvel épisode de la Guerre des étoiles) en octobre, Eyes wide shut de Stanley Kubrick, mais aussi les prochains Leconte, Tavernier, Eastwood, Allen, et peut-être même le Jeanne d’Arc de Besson ?

Ainsi, en 1998, 430 films ont été diffusés sur les écrans, un chiffre à rapprocher des 180 films produits ou coproduits en France (40 de plus qu’en 1996). Ce regain d’intérêt est une bonne nouvelle pour le cinéma français, puisqu’une taxe de 11 % sur le prix des tickets est prélevée afin d’être injectée dans la production nationale. Une place étant vendue 35,45 francs en moyenne (40 francs à Paris), on voit que le Titanic fut une bonne opération pour les exploitants, mais surtout pour les producteurs du film dont les recettes globales (entrées dans les salles, ventes de la vidéo, de la musique et des droits de diffusion télé aux Etats-Unis) se sont élevées à 3,2 milliards de dollars, soit plus de 19 milliards de francs, c’est-à-dire davantage que le budget du ministère de la Culture qui tourne autour de 16 milliards de francs. Sachant que Titanic, le film réputé le plus cher de l’histoire du cinéma, a coûté 200 millions de dollars, il aura rapporté environ 18 milliards de francs. Comme le titrait le journal les Echos, (le 30/12/98), « La fréquentation record des multiplexes en 1998 a profité au cinéma américain. ».

Avec ses 170 millions de spectateurs, 1998 restera une mauvaise année pour les parts de marché du cinéma français : de 27 % à 29 % contre 34 % en 1997, soit le chiffre le plus bas en 10 ans. Mais, selon Marc Tessier, directeur général du Centre national de la cinématographie, ce résultat ne traduit pas une tendance lourde du marché (entretien dans le Figaro Economie, 31-12-1998). Quelques précisions doivent expliquer cette contre-performance. Seuls 8 films français sont dans le Top 50 de l’année. Un record, et encore faut-il détailler ce classement. Beau tir groupé au 2e, 3e et 4e place avec le Dîner de cons, les Couloirs du temps et Taxi qui ont attiré respectivement 8,58 millions, 8,03 millions et 6,29 millions de spectateurs. Mais il faut descendre à la 22e place pour trouver le 4e film français de la liste : la Vie rêvée des anges, avec 1,26 millions d’entrées !

La porte était donc grande ouverte pour les grosses artilleries américaines, comme l’Arme fatale 4 ou Armageddon, mais aussi pour des oeuvres plus intimistes comme l’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux de Robert Redford qui a attiré 3 millions de spectateurs. Faut-il pour autant s’alarmer de ces résultats ? Ne sont-ils qu’un accident de parcours ou bien le symptôme d’un désintéressement plus généralisé, au contraire de ce que pense Marc Tessier ? D’abord, 46 millions de spectateurs pour les films français, c’est 10 % de moins qu’en 97 mais 30 % de plus qu’en 94. D’autre part, les films d’auteurs, dont la France s’est toujours fait une spécialité, ne sont pas des produits prédigérés comme les grosses productions américaines. C’est pourquoi, il est très difficile de juger le succès d’un film français. Les raisons pour lesquelles Marius et Jeannette de Guédiguian ou On connaît la chanson de Resnais ont pu intéresser, en 1997, relèvent plus du concours de circonstance que d’une stratégie marketing. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les 700 copies de Titanic avec les 86 copies de l’Ennui de Cédric Kahn.

D’autres raisons peuvent encore être évoquées : les maisons de productions « historiques » se sont presque entièrement retirées du métier au profit de la distribution (UGC avec la Fox, Gaumont avec Disney) et de la gestion de leurs multiplexes ; très peu de films français sortent en été, 20 millions de spectateurs se rabattent donc sur ce qu’ils trouvent ; les trois films français qui ont bien marché cette année ont attiré à eux seuls les deux tiers des entrées du cinéma français ; le deuxième semestre a été une véritable catastrophe avec seulement 21 % de part de marché pour le cinéma français…

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