L’infospectacle

Une fois de plus, la question du rôle joué par les médias se pose avec acuité, à propos des événements qui ont touché certains quartiers dits « sensibles » pendant les fêtes de fin d’années. La nuit du premier de l’an par exemple, France-info, puis les chaînes de télévision d’information continue, annonçaient des « scènes de guérilla urbaine » à Strasbourg. On diffusa en boucle l’image de voitures incendiées et de gendarmes en tenue anti-émeutes, au milieu de cités apparemment très déshérités. On parla des « dizaines » de véhicules brûlés à cette occasion. Or les témoignages directs de ces événements contredisent largement cette présentation des faits.

L’information dans ce cas n’invente rien. Il n’y a pas de ce point de vue de « mensonges » contraires à la déontologie. Une présentation habile des faits, quelques silences au moment voulu, des cadrages appropriés, suffisent à déformer la réalité. Dans le cas de Strasbourg, les images de véhicules incendiés reproduisent en fait toujours la même voiture, la même Renault Nevada, prise sous plusieurs angles différents, donnant ainsi l’impression qu’il y en a plusieurs. Ce sont toujours les mêmes gendarmes qui, venus en force sur les lieux d’un incident au départ mineur, ont fini par créer eux-mêmes l’événement qu’ils étaient censés faire cesser. L’impression d’ »émeute » ressenti par les téléspectateurs est largement provoquée par les tenues « anti-émeutes » des gendarmes. Comme le disait ce soir-là un photographe de presse en choisissant avec soin un cadrage dramatique de la scène qu’il voyait : « quand on pense que cette photo va faire le tour de la France ! ». Ce qui ne l’a pas empêché de la faire. Métier oblige.

Les cameramen envoyés par différentes chaînes de télévision éprouvaient évidemment le même sentiment. Eux savent bien que ce qu’ils voient n’est pas ce qu’ils montrent. Sans parler évidemment des paradoxes générés par les journalistes de la télévision allemande, présents sur les lieux et qui, eux, comme c’est le cas dans d’autres circonstances, payent les personnes interviewées sur le terrain. Parler de « guérilla urbaine » à cette occasion suppose qu’il y ait en face des forces de l’ordre, d’autres forces organisées, issues d’un mouvement de révolte collectif, obéissant à une certaine rationalité revendicative. Il faut hélas constater que ce n’est pas le cas.

Les vrais groupes organisés, les réseaux de dealers par exemple, se tiennent soigneusement à l’écart de ce genre d’événement, qui les dessert. En l’occurrence, les foules que l’on nous montre dans les banlieues lors d’incidents de ce type, sont plutôt composés d’individus qui ne se concertent guère. Les effets les plus négatifs de l’individualisme frappent d’abord, ne l’oublions pas, les quartiers déshérités, privés des repères collectifs du travail. Aussi peut-on se demander pourquoi les médias créent avec autant de soin cette fiction de mouvements de révoltes collectifs, là où il y a surtout de l’anomie individuelle, sinon pour faire peur au bourgeois et du coup solliciter son attention.On revient toujours au même point : le média n’existe que par l’audience et sa vraie finalité est devenue celle d’une entreprise de spectacle, le cas échéant en payant les acteurs. Les « émeutes » des « quartiers sensibles » font désormais partie du programme.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *