L’Etat chinois se désengage du financement de l’éducation, du logement et de la santé. Les 120 millions d’employés du secteur public doivent de plus en plus payer de leur poche ce qui leur était autrefois fourni.
Inscrite dans un collège-clé de Pékin, Li Yin a de la chance : elle fréquente l’un des meilleurs établissements scolaires de Chine. Les autres enfants de son âge sont inscrits dans les collèges standards avec leur lot d’inconvénients : manque de moyens, professeurs démotivés, et surtout, peu d’espoir de réussir plus tard le concours d’entrée dans une université. En revanche, le collège-clé de Li Yin emploie des professeurs sélectionnés au mérite, dispose d’ordinateurs et de locaux de qualité. Cette division entre école-clés et écoles standards, toutes publiques, remonte à la création de la République populaire de Chine en 1949. Elle structure tous les échelons du système éducatif chinois. Elle se fonde en théorie sur les résultats des élèves. Elle se double en pratique d’une sélection par l’argent. Les parents de Li Yin ont dû débourser 21 500 F de « soutien à l’école » pour l’inscription de leur fille. Le revenu mensuel moyen est de 450 F à Pékin.
Partout en Chine, la part de l’Etat dans le budget des établissements scolaires diminue au profit des droits d’inscriptions et des subventions des administrations locales ou des entreprises. Les établissements scolaires sont obligés de solliciter ces financements pour compléter par des primes les salaires que l’Etat verse aux enseignants. Faute de quoi, ces derniers risquent de démissionner. Conséquences : les inégalités dans l’accès à l’éducation se creusent entre les villes et les campagnes, entre les riches et les autres. Le taux d’analphabétisation ne recule plus. A la campagne, un nombre croissant de parents trouvent plus rentable d’envoyer leur rejeton au champ ou à l’usine plutôt qu’à l’école. En ville, les écoles privées se multiplient. Leurs droits d’inscription peuvent atteindre 60 000 F par an. Les universités, elles, sont payantes depuis la rentrée 1998. Après avoir réussi le concours d’entrée, l’étudiant doit payer 1 100 F minimum de droits d’inscription et beaucoup plus quand il s’agit d’une université réputée. Signe de la soif d’argent des universités, le candidat recalé au concours d’entrée peut quand même s’inscrire s’il acquitte des droits deux ou trois fois plus élevés.
Logement, acheter bon marché maintenant ou louer plus cher demain
Le premier ministre Zhu Rongji a fait de la réforme du logement des employés du secteur public une de ses priorités. Jusqu’à présent, les logements étaient distribués aux salariés par leurs employeurs pour un coût de location très faible. « Dorénavant, le logement est un produit de consommation, et non plus un produit de l’Etat providence », affirme le gouvernement. Les employés sont invités à acheter maintenant leur logement à un prix pré férentiel ou bien ils devront le louer bientôt beaucoup plus cher. Jiang Bo, modeste employé d’une administration a sauté le pas sans hésiter. Il vient de débourser 57 000 F pour devenir propriétaire de son 3 pièces de 55 m2 qu’il louait il y a deux mois encore pour 51 francs par mois. Il a bénéficié d’un tarif préférentiel de 1 035 F le mètre carré, contre environ 2 900 F le mètre carré pour un logement neuf de même catégorie dans le privé. « Personne ne sait combien coûtera la location dès l’an prochain, explique Jiang Bo. Une seule chose est sûre : le prix va beaucoup augmenter. Alors, je préfère utiliser mon argent pour acheter tout de suite. » Mais nombreux sont les collègues de Jiang Bo qui n’ont pas les moyens de débourser une telle somme, soit que leurs revenus sont trop faibles, soit qu’ils font partie des millions de licenciés du secteur public. D’ailleurs, devant l’inquiétude des salariés, le gouvernement a repoussé à l’année prochaine la pleine application d’une réforme qu’il voulait achever pour la fin 98.
Santé, le service minimal
Autre point de mire du gouvernement : la réforme du système de protection sociale. Fini le temps où l’employé du secteur public pouvait consulter autant de fois qu’il le voulait et se faire prescrire des médicaments presque gratuitement car son entreprise prenait tout en charge. Un ticket modérateur est instauré : le malade doit payer entièrement de sa poche (sauf exception) le prix d’un médicament importé, 20 % du prix d’un médicament produit en Chine par une entreprise en joint venture et 10 % du prix d’un médicament fabriqué par une société chinoise. Avant toute opération, le patient doit d’abord acquitter 5 % des frais d’intervention. De leur côté, les hôpitaux sont tenus de respecter un chiffre d’affaires annuel. La création d’un réseau de pharmacies en ville doit mettre fin au monopole des pharmacies des hôpitaux. La réforme ne touche cependant pas à une cruelle inégalité dans l’accès aux soins : la division des services hospitaliers entre un secteur de qualité pour les cadres du régime et un service minimum pour le commun des Chinois.
Malgré toutes ces restrictions, la situation des employés du secteur public reste enviable, comparée à celle du reste de la population chinoise. Pour les ruraux, la majorité, l’Etat providence n’existe tout simplement pas. Education, logement, santé : tout ou presque se paye au prix fort.
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