La gauche latino-américaine face au nouveau millénaire

Réunion unique à l’échelle d’un continent, le Forum de Sao-Paulo a la particularité de réunir tous les partis et mouvements de gauche latino-américains (1).

Ce VIIIe forum a confirmé le forum dans son rôle « d’espace pluriel, démocratique anti-impérialiste et solidaire ». En effet, 58 organisations et partis politiques de gauche latino-américain set des Caraïbes y participaient. Ceux-ci représentent plus du tiers de l’électorat du continent. C’est dire la force de ce mouvement fédérant les gauches dans un continent de plus de 460 millions d’habitants.

La « préférence continentale latino-américaine »

Se déroulant en pleine crise financière mondiale qui affecte durement le Brésil et se propage sur l’ensemble du continent, les participants ont été conduits à rejeter avec encore plus de force le projet de zone de libre échange des Amériques qu’envisagent d’imposer les Etats-Unis, pour accentuer la subordination des nations latino-américaines et réduire ainsi leur souveraineté.

C’est pour déjouer cette tentative qu’il a été proposé de rechercher les moyens de remettre en cause les traités libres échangistes actuels, de modifier les rôles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, pour leur substituer, selon les propositions de plusieurs participants, un nouvel ordre international monétaire et un nouveau concept de « préférence continentale latino-américaine » similaire à ce que nous connaissions en Europe avec « la préférence communautaire européenne ». Ce mécanisme aurait pour objectif de rechercher les moyens de nouveaux rapports de coopération avec les Etats-Unis et l’Union européenne.

De ce point de vue, l’initiative du gouvernement français de retirer notre pays de l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI), qui a abouti à sa disparition, a été saluée chaleureusement.

D’une manière générale, l’expérience originale de la gauche française au gouvernement suscite beaucoup de curiosité. Beaucoup d’attente aussi de la part des forces progressistes latino-américaines. La démarche du Parti communiste français et ses propositions sont connues et suivies avec beaucoup d’attention, d’intérêt, et de la sympathie de la part de toutes ces forces, quelles que soient leurs orientations politiques. Nombre de ses propositions économiques et sociales sont considérées comme un apport utile aux réflexions communes tout comme sa proposition d’une réorientation progressiste de l’Union européenne. La victoire de la gauche dans la plupart des pays européens exerce une certaine fascination et crée beaucoup d’espoir. Celui que la droite peut être battue, et que la gauche européenne peut constituer un pôle pouvant peser en faveur d’un nouvel ordre international contrebalançant l’hégémonie que veulent imposer les dirigeants américains. Notons toutefois que les responsables du forum font une nette différence entre les options du gouvernement anglais et ceux de la France et rejettent avec force le projet baptisé de « troisième voie Blair-Clinton ».

Rencontrer les forces de la gauche européenne

L’une des grandes décisions du VIIIe Forum de Sao-Paulo est la proposition de rencontrer les forces de gauche européenne. C’est avec cet objectif que des réunions communes entre l’équipe dirigeante du Forum et les partis de gauche européens présents à Mexico se sont tenues pour préparer de telles rencontres qui devraient avoir lieu avant le sommet des chefs d’Etat européens et d’Amérique latine prévu à Rio les 28 et 29 juillet prochains.

De telles rencontres devraient être d’autant plus fructueuses que, par delà des histoires, des niveaux de développement différents, les débats qui ont eu lieu à Sao-Paulo ont mis en évidence de nombreuses réflexions communes, mais aussi de nouveaux questionnements auxquels il est nécessaire de rechercher ensemble des réponses rapidement. Soulignons ceux de la préservation de l’environnement, pour laquelle la ville de Mexico est particulièrement concernée, des aspirations nouvelles qui progressent de manière irrépressible comme celle de la place des femmes et des jeunes dans la société, mais aussi dans les organisations politiques de gauche, le respect et l’épanouissement des minorités culturelles, ethniques, la lutte des paysans sans-terre, des sans-toit, de ceux qui n’ont pas accès à la santé ; la participation des chrétiens aux mouvements de lutte révolutionnaire, les processus de paix en Amérique latine, particulièrement au Guatemala, en Colombie, au Chiapas, au Salvador ont été discutés avec une réelle volonté d’aboutir. Des débats intéressants ont également eu lieu sur le rôle nouveau que pourraient jouer les parlements avec trois idées qui nous sont familières : celle de la relation du citoyen au parlementaire ; celle de la consultation des parlements avant toute ratification de traité ; et la proposition de créer un forum parlementaire permanent sur le continent pour étudier les problèmes communs ainsi que la recherche d’une alternative au traité ALCA.

D’autres bases de discussion et d’actions communes sont possibles dans les domaines économiques et sociaux, comme ceux du contrôle des mouvements internationaux de capitaux, la réforme de la fiscalité en vue de l’efficacité économique et sociale, une utilisation nouvelle du crédit, à l’échelle de la planète, l’aide aux PME, le progrès social avec l’éducation comme pivot de l’égalité de chances, l’action pour la santé, le logement, la sécurité sociale, l’amélioration de la situation de l’enfance, la lutte contre les discriminations féminines auxquels il faut ajouter la gravité des problèmes liés à la délinquance, à l’insécurité et au narco-trafic. Un autre important point commun concerne la démocratie, au sens de la démocratie participative. Des expériences de ce type sont en cours dans de grandes villes dirigées par des forces de gauche, notamment à Porto Allegre au Brésil ou à Montévidéo en Uruguay et dans plusieurs arrondissements de Mexico. Ainsi, un immense champ d’échanges, d’expériences, de réflexions et d’actions existe entre le forum et les forces progressistes européennes.

La démocratie est essentielle pour tout projet alternatif

Leur conception même de la transformation sociale partant de la démocratie mérite d’être connue : « la révolution est notre but, elle suppose une transformation profonde de la société par la démocratie essentielle à tout projet alternatif », peut-on lire dans l’un des textes.

Ces orientations seront encore approfondies par des séances de travail du Forum pour l’élaboration d’un projet alternatif au système néo-libéral. D’ores et déjà, le Manifeste de Mexico indique : « Nous proposons de construire, en respectant notre compromis d’unité, dans le respect de nos diversités, un projet de sauvetage, de réorientation en socialisant les espaces productifs, en renforçant l’industrie, l’agriculture et la productivité nationale, approfondissant et élargissant socialement la démocratie, réformant le rôle de l’Etat, garantissant les droits de l’Homme, respectant l’environnement, intégrant l’égalité et l’équité des sexes, reconnaissant l’identité et les droits des peuples indiens, élevant la qualité de vie de nos populations et impulsant une véritable intégration de nos peuples. »

Lieu de résistance contre la globalisation néo-libérale

Cette réunion des diverses forces progressistes latino-américaines, riche de leurs différences et de leurs expériences, est d’une grande originalité, sans équivalent dans le monde. Ce VIIIe Forum de Sao-Paulo a confirmé son rôle de lieu de résistance à « la globalisation néo-libérale, lieu de rencontre pluraliste et d’actions solidaires, pour mettre en échec les prétentions des USA, lieu d’élaboration et d’initiatives citoyennes pour des alternatives progressistes ». Beaucoup de nos pratiques et de nos réflexions, en France et en Europe, rejoignent celles du Forum de Sao-Paulo. Elles montrent qu’à partir de la spécificité des situations, beaucoup de réflexions et d’actions communes sont possibles et sûrement nécessaires de part et d’autre de ces deux continents séparés par l’Atlantique.

* Membre du Comité national du PCF.

** Collaboratrice du Comité national.

1. Il a eu lieu à Mexico, en octobre 1998.

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