Portrait d’un passeur de sons

Entre le compositeur et le public , il y a des passeurs, des truchements, des intermédiaires, des traducteurs, des inventeurs, des artistes : les interprètes. Daniel Kientzy, saxophoniste, est de ceux-là.

On ne peut pas connaître toutes les interprétations des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, mais on peut difficilement ignorer, et surtout on n’oublie jamais, l’interprétation radicalement nouvelle qu’en donna Glenn Gould. Quant au chef d’orchestre Nikolaus Harnoncourt, il a proposé une relecture définitivement différente des partitions de Wolfgang Amadeus Mozart. Pour l’amour de la musique et du répertoire qu’ils désirent défendre, ils sont allés à la recherche du « son » perdu. En ce qui concerne les interprètes qui se sont essentiellement consacrés au répertoire de la musique contemporaine, à l’image du flûtiste Pierre-Yves Artaud ou de la claveciniste Elisabeth Chojnacka, qui ont multiplié de savantes recherches sur leur instrument afin d’obtenir des possibilités de jeux poussés à l’extrême ou encore inexploités, ils ont été les guides précieux qui ont contribué ainsi à l’épanouissement de la création musicale. C’est aussi le rôle du saxophoniste Daniel Kientzy qui travaille en étroite collaboration avec les compositeurs. Il est l’interprète privilégié d’Aldo Brizzi, de Bernard Cavanna, de Paul Méfano, de Calin Ioachimescu et de nombreux compositeurs étrangers qui se sont penchés sur cet instrument inventé il y a plus d’un siècle par Adolphe Sax. Daniel Kientzy est l’un des rares interprètes à jouer des sept instruments de la famille du saxophone et mène parallèlement un travail de recherche, publiant l’Art du saxophone, les Sons multiples aux saxophones.

Le musicien doit séduire, envoûter, inquiéter…

Quelques années plus tard, la même réflexion s’est amplifiée dans son oeuvre monumentale Saxologie, sa thèse de doctorat, le document le plus complet existant sur une famille d’instrument. Imposant le saxophone, comme instrument soliste sur la scène musicale contemporaine, il prétend curieusement avoir choisi cet instrument par hasard. Très jeune, il gagna en effet sa vie en étant guitariste dans des groupes de rock et, pour éviter le service militaire, s’inscrivit au conservatoire de Limoges afin de continuer la musique. Là, il découvre la musique ancienne et joue de la flûte à bec, de la viole de gambe et… du saxophone. Si le parcours de Daniel Kientzy semblait déjà atypique, il déconcerte encore davantage lorsqu’il s’éloigne définitivement du jazz, jugeant l’art de l’improvisation trop limité. Car, selon lui, une oeuvre musicale doit être pensée et développée. Sans la forme, la musique n’aurait plus ni cohérence ni unité. Défendre la musique contemporaine en tant qu’interprète, c’est aussi comprendre la construction de chaque pièce, la mettre en valeur puisque c’est elle qui dicte l’idée et qui donne un son.

En ville, il a gardé son look de rockeur, cheveux longs, veste en cuir noir, jean usé et bottes de cow-boy. Sur scène, il est réputé pour être un interprète virtuose, passionné, qui n’hésite pas à faire vibrer la violence, l’angoisse ou la beauté d’une musique. L’interprète étant le médium entre l’oeuvre et les spectateurs, le devoir de tout musicien est, selon Daniel Kientzy, de séduire, d’envoûter, d’inquiéter le public et faire en sorte que le temps du concert soit un moment unique qui le transportera ailleurs. Nombreuses sont les pièces qui sont dédiées à Daniel Kientzy. Ce premier témoin des différents courants musicaux ne pense cependant appartenir à aucune école car il trouve un intérêt à chaque création. Mais il désapprouve furieusement la manière dont le répertoire contemporain est actuellement interprété. Le jeu obsessionnellement sérieux, froid et distant étouffe la musique et la rend désespérément ennuyeuse. Daniel Kientzy a arraché le saxophone à sa condition d’instrument exclusivement utilisé dans le milieu du jazz, lui a donné un autre emploi, prouvant qu’il pouvait et devait servir la musique contemporaine, dite savante, mais, en même temps, il révèle, dans un entretien, qu’il est devenu musicien parce qu’adolescent, il admirait et continue d’admirer Johnny Hallyday : »j’ai grandi dans les rues comme Johnny ; sur scène on se ressemble un peu, on veut donner une partie de nous-mêmes et la meilleure je l’espère ».

Paris. Le 9 février 1998 à 20H, Maison de Radio France, Salle Olivier-Messian. Daniel Kientzy fera la création mondiale de l’oeuvre d’Elizbeta Sikora, Lisboa, tramway 28, une commande de l’INA GRM, pour saxophone, bande et électronique-spatialisation du son avec l’acousmonium GRM.

Autres lieux et dates.Bourg-en-Bresse, le 2 mars ; Lyon, les 5 et 6 mars (Festival Musique en scène) ; Marseille, le 3 mai ; Vandoeuvre-les-Nancy, le 17 mai (Festival Musique Action) ; Paris, Maison de Radio France, le 24 juin.

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