Missions

Entretien avec Dominique Païni

Voir aussi 1968, Langlois congédié par Malraux****C’est en France, en 1933, qu’est née l’idée de cinémathèque. On la doit à Georges Franju et Henri Langlois qui fondèrent la Cinémathèque française en 1936. Elle s’apprête a entrer dans une nouvelle phase d’activité.

La Cinémathèque française se prépare à une nouvelle métamorphose. En l’an 2000, elle quittera le lieu mythique de Chaillot pour emménager dans les anciens locaux de l’American Center à Bercy. Les enjeux dépassent le simple cadre géographique pour s’inscrire dans une redéfinition de ses missions. Même si tout n’est pas encore arrêté, l’occasion se prêtait à une rencontre avec l’actuel directeur, Dominique Païni. Arrivé en 1991, il a été directeur du cinéma le Studio 43, à Paris, puis distributeur et producteur de réalisateurs aussi exigeants que Straub-Huillet, Philippe Garrel et Juliet Berto. A ses yeux, la Cinémathèque s’insère dans le parcours d’un art, l’itinéraire d’un homme, Henri Langlois, et dans une volonté  » encyclopédique, savante et enseignante « .

Quelles sont les grandes étapes de l’histoire de la Cinémathèque ?

Dominique Païni : Il y en a cinq. 1936 avec la naissance. Puis pendant la guerre, lorsque Langlois a caché les films. Ensuite, la période des années 50 avec les grandes programmations et l’invention par Langlois, parallèlement aux Cahiers du Cinéma, de la politique des auteurs. L’affaire Langlois de 1968 (voir encadré) n’a qu’un intérêt secondaire. Elle n’annonçait pas les événements de Mai. Malraux a été mal conseillé. Il s’est trompé. Langlois a, en outre, tiré ses conceptions de la programmation d’André Malraux. Relisez les Voix du silence. Il doit beaucoup à sa pensée.

La quatrième étape intervient en 1972 avec l’ouverture, à Chaillot, du Musée du Cinéma. Au départ, c’était une exposition temporaire. Elle a perduré anormalement. Mais, sans cela, il n’y aurait peut-être plus rien aujourd’hui. Le dernier moment important est, sans fausse modestie, la période actuelle. Il a fallu reconstruire cet endroit en mettant la cinéphilie aux postes de commande. Avec le président, Jean Saint Geours, et moi-même, la maison a retrouvé un lien avec toute la profession du cinéma. Les metteurs en scène sont très actifs à la Cinémathèque. Ils siègent au Conseil d’administration. Au mois de novembre, Alain Corneau et Jean Rouch étaient présents pour accueillir Marco Bellochio, venu à Paris pour une projection des Poings dans les poches. Le comité René Clair, monté pour lui rendre hommage, était présidé par Jean-Paul Rappeneau.

Quelles sont les missions actuelles de la Cinémathèque ?

D. P. : Montrer des oeuvres rares, en faire découvrir certaines méconnues, défendre les cinéastes, les écritures singulières, faire mieux connaître ce qu’on croit être très connu. Les films s’enrichissent les uns des autres. Comme le disait Matisse:  » Les films naissent des films.  » C’est un lieu de mémoire, ce qui ne veut pas dire un cimetière. La Cinémathèque remet au travail la mémoire. Mais, paradoxalement, le cinéma ne doit pas devenir que cela. Il faut voir un long métrage de Griffith ou Murnau comme une oeuvre vivante. Le film est toujours présent dans le moment même de son exécution.

Notre politique est très axée sur la restauration. Dans les collections de la Cinémathèque, il y a une diversité importante, près de 40 000 copies. On a travaillé sur le cinéma américain, italien, allemand. Plus de 15 000 boîtes ne sont pas encore ouvertes. Nous tentons d’arriver au terme de nos collections sauvées avec un maximum de films restaurés. On a trouvé un Vidor et un Capra perdus dans le monde entier. Des oeuvres n’existent qu’en exemplaire unique chez nous. Il n’y a même pas de négatif ailleurs.

Nous avons voulu également mettre l’accent sur la programmation. Il fallait davantage de place pour des secteurs du septième art qui n’étaient pas très connus depuis de nombreuses années: le cinéma expérimental et les films de série B, au sein desquels il y a des perles. Le public devait être aussi mieux informé. Nous avons le journal de la Cinémathèque où est accompli un travail informatif et pédagogique. Autre grand domaine: la formation avec un collège d’enseignement du cinéma et de son art. Des conférences et des colloques sont organisés. Un effort est fait en direction du jeune public et des professeurs. Entre toutes ces activités, il y a un lien évident qui se trouve être la vocation prioritaire de la Cinémathèque. Enfin, l’édition. Nous avons publié entre 25 et 30 livres. Et, régulièrement, paraît la revue Cinémathèque.

Comment l’Etat aide-t-il la Cinémathèque ?

D. P. : Une subvention de 23 millions de francs pour un budget de 31 millions de francs. On doit trouver le reste. L’Etat nous octroie, en plus, deux millions deux cent mille francs pour restaurer les films de nos collections.

L’an 2000 verra le déménagement de la Cinémathèque à Bercy. Qu’en attendez-vous ?

D. P. : Un espace pour faire un Musée du Cinéma rénové, refait dans des conditions contemporaines de muséographie. A la mesure de l’ampleur et de l’envergure intellectuelle et scientifique voulues par Langlois. Je souhaite une très bonne librairie internationale, avec la possibilité d’y acheter des films en vidéocassettes. Ce devrait être un lieu de rencontre et d’accueil. Les gens pourraient manger, boire, attendre, se cultiver. Cet endroit doit être extra-territorial pour échapper aux appétits commerciaux, à la logique du profit et aux contraintes industrielles. Ce qui nous importe, d’abord, c’est qu’il y ait beaucoup de public pour voir les films. Tous les films doivent être égaux dans la programmation. Il va falloir combattre, résister aux formes de lois contraires à cette liberté et aux nécessités de ne servir que les intérêts esthétiques. Je suis sûr qu’aujourd’hui, le combat esthétique est, avant tout, politique. Brecht affirmait que sa manière d’être juste esthétiquement était d’être juste politiquement.

En ce qui concerne le travail de conservation, un film tourné en 1999 a-t-il des chances de bien résister dans de bonnes conditions pour être visible dans l’avenir ?

D. P. : Depuis quelque temps, oui. Par contre, tous les films tournés dans les années 60, 70 et 80 sont en grand danger. Il va falloir procéder à des décisions aussi importantes que celles qui ont été prises pour le début du muet. Des solutions scientifiques et techniques doivent être trouvées pour que les copies ne virent et ne perdent pas leur couleur. Nos services sont en train de se mobiliser. Pour l’essentiel, le grand cinéma muet sera sauvé. Du moins, ce qu’on connaît. Grâce à Langlois, on retrouve tout. Rien n’est perdu. Si la BIFI (Bibliothèque du Film où figure un pourcentage majoritaire de collections provenant de la Cinémathèque) a pu être faite, c’est parce que Langlois était un conservateur admirable. Dans les années 50, il n’avait aucun moyen pour accomplir son travail. Mais son combat a été gagné. Tout le monde s’inspire de sa conception de la Cinémathèque. Même les télévisions avec les ciné-clubs et les chaînes thématiques.

Langlois nous a légué énormément. Peut-être y a-t-il trop de choses. Il faudrait presque trier, sélectionner. C’est terrible. On ne peut plus englober le cinéma dans sa totalité. C’est ce que dit Jean-Luc Godard dans son histoire du cinéma. Ce n’est plus possible depuis les années 60. Il y a un tel développement des cinématographies, y compris dans les cultures lointaines. Celles de l’Asie, par exemple. La mode est actuellement au patrimoine. Tout est à garder, à conserver.

* Directeur de la cinémathèque française.

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