Théâtre

A l’affiche en ce mois de janvier 1999, à Paris, deux pièces de François Bon: une comédie, Au buffet de la gare d’Angoulême, à l’ Artistic-Athévains, une tragédie, la Vie de Myriam C. (1), au Théâtre de la Colline.

Les rapports de François Bon avec le théâtre ne sont pas simples. Dans un très beau texte, l’unique sur le sujet, livré au Thé-âtre de la Colline, il dit ses réticences, sa défiance même:  » Je n’ai jamais voulu me forcer à la rencontre d’un rituel dont je ne connais pas les marques. Le théâtre n’appartient pas à ma vie, du moins pas dans son achèvement de forme par lumières, décor et sueur. Je franchis aujourd’hui cette barrière, mais j’aurais voulu la franchir les mains vides. La franchir sans venir avec des mots. Entendez, sans ce texte explicatif qui accompagne le spectacle.  » Méfiance donc. Peur de perdre le  » silence  » autour des mots qui fondent la théâtralité:  » Je n’ai jamais eu l’occasion de voir une pièce de Shakespeare représentée dans un théâtre. Je crois que c’est par peur, par seule peur d’abîmer cela de silencieux qui vit par les livres transportant vers nous les textes de théâtre.  » Méfiance face à la représentation, du risque du reflet, de la  » tranche de vie « . Méfiance face au traitement scénique de la parole qui peut la réduire à une simple conversation. Et, pourtant, fascination pour l’acteur capable de la restituer dans son énergie, son immédiateté; fascination pour ce qui se passe,  » ici et maintenant  » sur le plateau, pour le monde qui se livre à travers l’énergie des corps, parce que la scène est le lieu où quelque chose peut  » advenir « .

Une anecdote semble au coeur des rapports contradictoires que François Bon entretient avec le théâtre. Dans ce même texte précité, il raconte qu’enfant, sortant un soir de chez un ami, un cheval attelé à une charrette arrivait dans la rue dans un vacarme tel qu’il prit peur, courut pour l’éviter et se retrouva perdu dans le marais. Plus tard dans l’année, l’instituteur, pour une pièce faite avec la classe, demanda aux élèves de hennir:  » J’avais encore en moi cette peur du cheval et l’instituteur a arrêté tout le monde: moi seul hennissais avec crédibilité.  » Mais, le jour du spectacle, un véritable sentiment de honte:  » Quand j’ai dû procéder à mon imitation, une autre peur avait remplacé la première et ça a raté, complètement.  » Anecdote fondatrice de la contradiction ? Vérité absolue du geste et de la parole qui s’originent au coeur de l’expérience humaine; médiocrité et mensonge de l’imitation et de la re-présentation. L’acte d’écrire tient chez lui de ce mouvement fondamental. Ni décrire, ni raconter, ni expliquer le monde, mais trouver le lieu d’où l’énergie jaillit, de telle manière que  » l’innommable de notre monde  » se dise et se montre.

Pour tenter de rejoindre cette  » énergie « , l’atome enfoui dans l’informe fragmenté de la réalité d’aujourd’hui, François Bon pratique, dès 1986, des Ateliers d’écriture avec des exclus, des Rmistes, des détenus. Il n’a aucune illusion sur la fonction politique et sociale d’un tel geste, même si les mots bruts de ces êtres en dérive le hantent et le traversent. Il n’y a rien de socio-culturel dans sa démarche et l’écrivain sait, au contraire, qu’il a une dette à l’égard de ceux qui sont le plus éloignés du fait culturel. Pour comprendre, peut-être faut-il partir de cette constatation faite au début des années 80:  » Il m’a semblé que j’étais coupé de quelque chose de vivant. Et cela s’est seulement rétabli à partir du moment où j’ai régressé, je veux dire où l’écriture a retrouvé une fonction première, originelle, qui est la profération, la diction.  » Peut-être avoir retrouvé cette fonction première en se confrontant au lieu d’une violence radicale, là où tout bascule.

A l’écoute de cette violence radicale, là où tout bascule

François Bon n’est pas tant à la recherche d’un langage, qu’à l’écoute de ce  » lieu de violence  » chez ceux qui, en errance et en rupture, laissent sourdre une vérité cachée de notre monde, à travers la manière brutale et primordiale qu’ils ont d’agencer les mots.  » Découvrir comment, chez ceux-là, ces mots témoignent sans le nommer de ce qui se passe en dehors d’eux « , dit-il à propos du travail qu’il fit à Tours. Il y a animé un stage avec dix acteurs professionnels. Ensemble, ils sont allés aux franges de la ville pour tenter de la nommer. Voilà l’origine de Au buffet de la gare d’Angoulême, la pièce aujourd’hui mise en scène par Gilles Bouillon au Théâtre Artistic-Athévain. C’est une comédie qui se passe entièrement dans un lieu à la fois clos et ouvert (la gare), un lieu d’errance  » exterritorialisé « , une sorte de non-lieu où des rencontres éphémères, hasardeuses révèlent la solitude des êtres, l’impossibilité du lien social. Pendant une heure et demie (c’est la durée du retard du TGV pour Paris, pour cause d’accident ou de suicide), six personnages sont obligés de se faire face, se regarder et s’adresser la parole. Il y a deux actrices, une star connue par la télévision, et une plus jeune, un voyageur de commerce, un serveur, une fille en marge et Carcasse qui zone dans la gare pour dealer. Autant de personnages emblématiques d’une ville d’aujourd’hui, ou plutôt de ce qu’elle génère comme violence et étrangeté, marges et réseaux, territoires parallèles. Pendant cette suspension du temps, la parole échangée va révéler les craquements, les failles ou les fractures de personnages apparemment lisses.

Nommer l’inconnu du monde, l’enjeu du théâtre

Vie de Myriam C., mise en scène par Charles Tordjman au Théâtre de la Colline, trouve, elle, sa source dans un événement réel. Lors d’un stage que François Bon a animé à Lodève, une jeune femme, mère de trois enfants, lui a remis un texte avant de se suicider:  » J’ai des choses très importantes à te communiquer et je voudrais que tu l’arranges afin que ce soit lisible « . Et puis:  » Si j’en parle et si je réagis, c’est que j’ai vu de mes yeux la souffrance des pauvres qui n’avaient que cette alternative pour ne plus penser ni au chômage ni ce stage à la con « . Un long texte qui hante la mémoire de François Bon qui est déjà à l’origine d’un livre: C’était toute une vie.

Il écrit aujourd’hui une tragédie contemporaine avec un Choeur, un Destin et une Héroïne dont les transgressions, à l’instar des grands héros mythiques, vient interroger l’ordre du monde. Myriam C., personnage, fantôme ou voix, constitue une sorte de point aveugle, un mystère qu’interrogent sur scène sa mère, sa soeur, Morgan son ami, Bebel, le compagnon de sa mère et les trois femmes du Choeur. Comme dans la Grèce antique, un désir de théâtre politique au sens le plus large, quand la société tente une représentation d’elle-même, alors même que, dans les apparences fragmentées, la tâche paraît impossible. Donner une forme au Chaos pour essayer de le comprendre. Avec ces deux pièces qui sont des commandes de metteurs en scène, François Bon accepte donc le défi du théâtre.

Nommer l’inconnu du monde, tel est l’enjeu de la littérature et du théâtre. Parlant de Vie de Myriam C., François Bon conclut:  » A qui cela appartient, théâtre, littérature ou simple devoir de mémoire dans la ville, ou humble mouvement commun et nécessaire vers l’obscure origine qui nous fonde, on le laissera décider à d’autres.

1. François Bon était connu jusqu’ici pour ses romans: le Crime de Buzon, Fait divers, et pour des textes dont le statut et le genre étaient à peu près inclassables: Parking (1996), puis Prison et Impatience (1998). Les gens de théâtre se sont très tôt intéressés à ces textes, à l’oralité très forte et où l’écriture est un acte par lequel  » la modernité  » (au sens où Baudelaire employait ce mot) se donne plus qu’elle n’est racontée. L’écrivain est  » artiste associé  » au Centre dramatique régional de Tours et travaille avec son directeur Gilles Bouillon depuis une dizaine d’années. Par ailleurs, il y a déjà longtemps qu’il a rencontré Charles Tordjman, directeur du Théâtre de la Manufacture à Nancy.

Au buffet de la gare d’Angoulême, de François Bon, mis en scène par Gilles Bouillon. Paris, Théâtre Artistic-Athévains, du lundi 4 janvier au dimanche 21 février. Informations: 01 43 56 38 32 En tournée à Angers, Nouveau Théâtre d’Angers, du mardi 19 janvier au vendredi 22 janvier à 20H30. Informations: 02 41 88 37 80. A Rouen, Théâtre des 2 Rives, du mardi 20 avril au vendredi 7 mai, mardi, samedi, à 20H30, dimanche à 17H, mercredi, jeudi, vendredi à 19H30. Informations: 02 35 89 63 41

Vie de Myriam C., de François Bon, mis en scène par Charles Tordjman. Paris, Théâtre de la Colline, du mercredi au samedi à 21 h; les mardis à 19h. Débat le mardi 2 février. Informations: 01 44 62 52 52

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