Théâtre

A partir du livre de l’écrivain martiniquais Vincent Placoly (1946-1992), Frères Volcans, Anne-Marie Lazarini, au Théâtre Artistic Athévains, met sur la scène l’abominable de l’homme, l’esclavage.

En France métropolitaine, on croit tout savoir de l’abolition de l’esclavage aux Antilles et du décret du 27 avril promulgué par Schoelcher. Sait-on qu’il y eut plus de cinquante millions d’Africains déportés aux Amériques ? Connaît-on les sévices les plus barbares perpétrés par les maîtres békés ? Le refus des nègres marrons, la naissance d’une culture créole de résistance la nuit sur l’Habitation ? Et les révoltes d’esclaves dont la plus célèbre fut celle qui, à Saint-Pierre, en Martinique, aboutit à l’abolition de l’esclavage avant l’arrivée du décret officiel venu de France ? Sait-on qu’après les décisions généreuses de la jeune Seconde République après les journées révolutionnaires de février 48, les pressions de députés réactionnaires retardèrent l’envoi du décret ? Sait-on qu’aujourd’hui encore le peuple antillais vit avec, au fond de lui, cette immense blessure d’avoir été nié, deux siècles durant, dans son humanité ?

Ces journées de révolte, de braise et de mort à Saint-Pierre

Vincent Placoly, un écrivain martiniquais mort à 46 ans, en 1992, raconte dans son roman Frères Volcans ces journées de révolte, de braise et de mort à Saint-Pierre, journées qui préfiguraient la fin d’un monde. C’est le seul roman contemporain sur le sujet. Romancier, essayiste, journaliste, homme de théâtre et engagé dans l’histoire de son pays, Vincent Placoly est très connu et très aimé aux Antilles. C’est le premier à avoir affirmé en plein mouvement de la Négritude: « Je suis un Américain », affirmant par là le désir d’ancrer la réalité antillaise dans l’espace caribéen, à côté de Cuba, de la Guyane, du Brésil, d’Haïti. C’est à Paris, pourtant, avec ses études à la Sorbonne, plus particulièrement dans son amour pour la langue française, que l’artiste s’affirme. Son écriture est somptueuse, mêlant la densité d’une pensée complexe aux méandres multiples, à la poésie d’un imaginaire créole et au lyrisme d’une personnalité hantée par la mort. Anne-Marie Lazarini a eu un véritable coup de foudre pour ce roman. Une adaptation en est jouée aujourd’hui au Théâtre des Athévains. Tout l’intérêt de ce texte, mais aussi sa difficulté, est qu’il n’est en rien manichéen: ni héros, ni barbares; les deux esclaves sont affranchis et les békés des hommes, certes inconscients et inconséquents mais qui partagent avec les Noirs l’amour de leur pays. Vincent Placoly, pour les besoins du roman, prétend avoir découvert le manuscrit, journal intime d’un Blanc, ancien esclavagiste nourri de culture française et de philosophie des Lumières, un progressiste contemporain de ces événements. A distance de la rue et de la foule, il pose toutes les questions sans réponse encore aujourd’hui: le sens de cette liberté accordée ? D’une fraternité construite sur la haine ? De l’espoir des Noirs de fonder des nations nègres ? Il anticipe toutes les illusions et les hypocrisies et meurt à la fin faute d’entrevoir un avenir possible.

Sur le plateau du théâtre des Athévains, une table, six comédiens et un musicien de jazz. Au sol l’esquisse blanche des deux îles sur un sol rouge (scénographie dépouillée de F. Cabanat). Tantôt les acteurs sont nos contemporains découvrant la langue de Placoly, à travers le manuscrit. Le roman est alors au centre de la mise en scène. Tantôt ils incarnent les personnages de quelques scènes. La parole circule, fluide entre récit et dialogue, lecture et jeu. La mise en scène rend clairs les vrais rapports de force par delà les mots. Quelques objets seulement, une cocarde tricolore, une petite lampe projetée sur le plan de Saint-Pierre, une ligne de feu sur une musique de percussion, ou sur l’appel désespéré d’une improvisation au saxophone, rendent compte visuellement de ces journées essentielles pour les Antilles et leurs rapports avec la France. Au-delà de cette histoire située dans le temps et dans l’espace, le spectacle constitue une belle métaphore des rapports coloniaux et néo-coloniaux, une réflexion très actuelle sur les traces, les séquelles et le difficile avenir des pays nouvellement libérés. Pour ce défi théâtral, d’excellents comédiens (Eric Delor, Claude Guedj, Isabelle Mentré, Louis Mérino, Raymonde Palcy) et un musicien surprenant par la présence scénique de sa musique (Hervé Bourde).

Vincent Placoly, Frères Volcans, mise en scène A-Marie Lazarini, Théâtre des Athévains, jusqu’au 9 décembre 1998, Repris à Douai en mars 1999 et éventuellement à Paris et Fort-de-France. Renseignements: 01 43 56 38 46.

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