Les revues et les groupes ont joué, et jouent encore en France, un rôle incontesté. Ils nourrissent un imaginaire et contribuent au maintien et à l’extension de la langue dont, le plus souvent, ils expérimentent des formes par vocation inusitées. Action poétique n’a pas dérogé à cette règle implicite.
Inutile de remonter aux calendes pour illustrer et souligner l’importance des revues littéraires et poétiques dans notre espace qu’elles ont quelquefois excédé. Depuis le dix-huitième siècle, les revues françaises ont exercé une influence loin d’être négligeable et n’ont cessé, en quelque sorte, de se déployer. Si le dix-neuvième avec ses diverses écoles, du Romantisme aux premières avant-gardes, a multiplié les publications, c’est, toutefois, le vingtième qui emporte la palme. Les périodiques littéraires et poétiques ont plus que décuplé sous l’impulsion d’auteurs de premier ou second plan si, d’un côté, on considère Paul Fort, l’homme qui se balade, et, de l’autre, Tzara, André Breton, Aragon ou Philippe Soupault, pour rendre ainsi hommage à des initiateurs.
Révéler de jeunes poètes, honorer des précurseurs immédiats, dépoussiérer des auteurs disparus…
Quoi qu’on prétende, la Révolution surréaliste et le Surréalisme au service de la Révolution pèseront encore longtemps sur les esprits, y compris les plus revêches ou les plus rétifs à ses entreprises. Les bilans, actifs et passifs compris, de ces précurseurs occupent un arrière-plan de la scène sur laquelle ils se sont mus sans jamais gagner les coulisses où d’aucuns souhaitaient les reléguer. Au-delà de leurs prétentions, ils ont fait système… Qu’en est-il d’Action poétique dirigée par Henri Deluy ? Pascal Boulanger, poète de qualité avant tout, et ici transformé pour la circonstance en biographe et historien dont le lecteur ne peut que louer la précision et l’élégance, s’est employé à restituer la double historicité à laquelle répond une oeuvre, fût-elle collective. Je veux ainsi souligner qu’une revue est un mariage de noms, une association de styles, fondés sur le temps, c’est-à-dire, en termes moins abscons, qu’une oeuvre ne se déprend pas d’une histoire qui lui est propre, celle dictée par l’esthétique, pas plus qu’elle ne se dépare du contexte temporel qui la contraint et d’où elle émerge. Cela ne signifie nullement qu’elle n’acquière pas son autonomie, qu’elle ne se soustrait pas à des préjugés dominants ou, d’autre part, qu’elle n’assume pas, comme il sied de dire à présent, son époque en lui conférant un langage approprié. Le tout est de savoir quelles ont été ses orientations et de repérer ses désirs. Et Pascal Boulanger y est parvenu avec une clarté louable. Son préambule introduit à une anthologie qui retrace, sous un aspect pratique, le récit qu’Action poétique s’est construit, à la faveur d’un hasard, celui des rencontres, de nécessités (celles qui consistent à résister à des courants contraires), et une volonté, remaniée, qui assied l’originalité d’une production et identifie un groupe qui a mêlé la tradition à la contemporanéité, histoire d’établir des liens entre l’une et l’autre, et de repérer et puiser dans la première les indices et les raisons d’une modernité. L’anthologie l’atteste (1). On y vérifie le mélange offert par les morts et les vivants, et où les morts se survivent grâce à l’inscription des vivants qui les entourent. Vue d’une certaine perspective, Action poétique, primitivement insurgée contre un modernisme académique qui s’abîmait dans des jeux aux buts effondrés, a comblé une dialectique du dépassement au sens hégélien. Ses découvertes, nombreuses et avérées, n’ont pas refoulé ce que nous nommerons, pour aller au plus pressé, les » classiques « . Henri Deluy et ses comités de rédaction ont innové sans renoncer aux voies frayées par les » anciens « . Ils ont jeté les ponts d’une poésie actuelle sans céder aux modes, même si, en quelques occasions, ils les ont épousées afin de parfaire leur entreprise et ne pas négliger des opportunités. Leur exigence les a conduits à révéler de jeunes poètes, à honorer des précurseurs immédiats, ainsi qu’à dépoussiérer voire exhumer des auteurs disparus ou méprisés, faute d’avoir été réellement lus dans leur » intégrité » ou leur nudité. Action poétique les a alors débarrassés de leurs habits empesés dont des légendes approximatives et des apprentissages scolaires les avaient affublés en amenuisant, par avance, leurs effets. Je pense, en l’occurrence et parmi une foule d’autres, à La Fontaine… Mais la revue ne s’est pas satisfait de l’espace francophone qui lui était naturellement dévolu. Elle s’est dépêchée de traduire et, là encore, on succombe sous le nombre de poètes surgis des quatre coins cardinaux, rose épurée des vents, avec lesquels elle nous a familiarisés. Elle a de la sorte accompli son ambition cosmopolite ou, si on préfère, internationale, celle d’une poésie des fratries, où l’inattendu et l’inouï franchissent les frontières pour former un instrument voué à la symphonie. Action poétique, caractéristique non négligeable, orchestre et on doit se louer qu’il en soit ainsi dans une époque qui exprime des façons les plus diverses ses réticences et sa frilosité vis-à-vis de l’étrangeté, une étrangeté, pour se référer à Blanchot, que la revue préserve et traduit, comme un spectacle sur une scène. Tout y est accessible et reculé afin de ne pas sombrer dans des solutions élémentaires et restituer les complexités. La langue se soumet et résiste. Elle trahit ses origines. Elle nous convainc de sa distance et cette distance souvent conservée séduit par le mystère » relativement » élucidé qu’elle implique.
Commentaires et notes de lecture à teneur parfois théorique, une revue qui reflète et réfléchit
On aura tendance à penser qu’Action poétique observe un point de vue historiciste et que tout y est bon pourvu que ce tout ait existé, ou existe sous d’autres confins. Ce serait faire fi d’un choix délibéré qui comprend également des rebuffades, des mises à l’écart, des polémiques. Ce serait faire fi d’évolutions, de progrès, si jamais le progrès est de la partie en une telle matière, voire de révolutions. Action poétique, à l’instar de corps en vie, a compliqué son existence, à savoir l’a enrichie. Ses amours n’ont pas été dénuées de caprices, ou de fantaisies, à tout prendre agréables. Et, autre élément, c’est une revue qui non seulement reflète mais réfléchit. La poésie ne se déprend pas d’un commentaire à teneur parfois théorique, et les notes de lecture qui figurent à la fin des livraisons témoignent d’un intérêt général. On n’y nage pas dans les eaux glacées d’un calcul égoïste où prévaudraient, uniques, les produits maisons. Un seul reproche, ténu et cuistre, à l’adresse de Pascal Boulanger que j’apprécie, je le répète. Francis Ponge a appartenu au groupe surréaliste, qu’il en fût ou non un membre singulier. Cette ultime remarque, très secondaire, n’altère pas son étonnant travail pas plus que la considération portée à une revue dont la pérennité se justifie étant donné les objectifs fixés et concrétisés, une quintessence des mots au sens jamais éteint et, dans cet article, je n’aurais pas l’outrecuidance de citer la cohorte fournie des acteurs du groupe et de la revue…
* Ecrivain, auteur notamment de Chroniques du stade, communautés en chantier, paru en juin aux éditions de la Dispute.
1. Pascal Boulanger, Une » action poétique » de 1950 à aujourd’hui. L’Anthologie Action poétique. Ed; Flammarion, 1998, 608 p., 195 F.
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