Dresscode pénal à l’Assemblée nationale

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Avec son nouveau règlement intérieur, normatif et inapplicable, l’Assemblée nationale veut mettre au pas les expressions dissidentes tout en trahissant une vision aussi conservatrice que dépolitisante.

Puisque la bataille politique semblait se compliquer, pourquoi ne pas user et abuser du pouvoir de réglementation pour museler une opposition trop remuante ? C’est clairement le choix opéré par François de Rugy, président de l’Assemblée nationale.

Le mercredi 24 janvier, la réunion du bureau de cette enceinte parlementaire a adopté un ensemble de règles intérieures concernant la tenue vestimentaire des députés. Non content d’avoir promulgué une sanction financière à l’égard de François Ruffin, il fallait monter d’un cran, écrire noir sur blanc ce qui relève de la bienséance, de l’autorisé, de la norme pour un député dans l’hémicycle.

Neutralisation

Alexis Corbières avait chauffé les esprits en déballant un sac de courses de chez Lidl pour montrer concrètement ce que peut représenter cinq euros, le montant que la majorité En Marche a retiré des APL. Si les boites de conserve sur les pupitres de la noble assemblée ont sur place irrité, elles ont eu le mérite de donner à voir par l’image, bien au-delà de l’Assemblée, une réalité et un légitime coup de colère.

Oui, ce fut un déballage performatif, comme le maillot de football de François Ruffin qui visait à attirer l’attention sur la place de l’argent dans le sport et le besoin de le partager au profit des petits clubs. Les vidéos de ces interventions ont fait le tour de la toile et provoqué le « buzz » dans les médias. La réaction, à la fois réplique et « backlash », n’a donc pas tardé…

En quelques lignes, un ajout au règlement intérieur a rigidifié les tenues et conditions d’expression des députés dans l’hémicycle. Adieu les boites de conserves, mais aussi les graphiques ou tout autre objet qui accompagnerait visuellement un propos. La tenue vestimentaire a pris un sérieux coup de strict. Au risque de l’inapplicable et du grotesque. Les députés sont désormais astreints à une « tenue de ville », « neutre ».

Qui a pu penser et rédiger une telle formulation ? Qu’est-ce qu’une tenue neutre ? Il n’est pas besoin d’avoir lu Pierre Bourdieu pour savoir que, par exemple, un costume cravate ou un tailleur sont socialement marqués, et donc pas neutres. La définition du mot est d’ailleurs instructive puisqu’est neutre ce qui ne relève ni du féminin, ni du masculin. En un clin d’œil, chacun pourra observer que l’Assemblée va vite se vider si le règlement s’applique sérieusement… Demandera-t-on aux femmes de renoncer aux jupes ? Aux hommes d’en finir avec la cravate ? Et donc de s’habiller comment ? Bref.

Normalisation

Au passage, les auteurs de ce nouveau règlement n’ont évidemment pas oublié d’interdire les signes religieux ou les marques commerciales. À première vue, ces deux interdits peuvent sembler plus logiques, plus applicables, non directement liés à une volonté de bâillonner l’opposition. À première vue… En effet, les marques font désormais tellement partie de nos tenues vestimentaires, jusqu’aux lunettes, que la chasse risque d’être bien difficile, voire ridicule. Peut-être faudrait-il commencer, dans l’espace public, à ne pas recouvrir les bâtiments en réfection d’une immense publicité pour Apple ou je ne sais qui.

Quant aux signes religieux, la boite de Pandore est ainsi ouverte. D’ailleurs, l’Observatoire de la laïcité a dans la foulée émis de vives réserves. L’interdiction pourrait être contagieuse pour toutes les assemblées élues de France. Et dans le climat actuel, comment ne pas créer une machine à conflits davantage qu’un principe à apaisement, à inclusion ? A minima, un tel changement avec ses effets en chaîne ne peut se faire en catimini, pour mieux emballer un acte d’autorité visant l’opposition.

La normalisation que sous-tend ce règlement est à l’image d’une macronie dont la modernité n’est décidément qu’une bande-annonce. Ici comme ailleurs, on découvre une grande capacité à figer ce qui devrait être vivant, à interdire au lieu de favoriser la liberté.

C’est pourquoi, en tant que membre du bureau de l’Assemblée pour la France Insoumise, j’ai voté contre ce règlement. Bien seule dans ce bureau. Le groupe GDR, qui n’y est pas représenté, a également pris position contre ce dresscode dans un communiqué. Au fond, cette mise au pas vestimentaire s’inscrit dans une conception dépolitisante du débat parlementaire. Les vêtements des députés doivent être bien repassés, et tant pis si la vitalité démocratique se retrouve en lambeaux.

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