Le mot : « Puritain »

Dans la longue liste des inversions du sens des mots par les réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui, le terme « puritain » figure en bonne place. Clémentine Autain prend le contrepied des auteures de la tribune du Monde

Rubrique « Le mot » extraite du numéro d’hiver de Regards, en kiosque demain 9 janvier.

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Le contresens est saisissant. La vague #metoo[[« Moi aussi » : hashtag utilisé par les femmes sur les réseaux sociaux pour dénoncer, à la suite de l’affaire Weinstein, les agressions sexuelles dont elles ont été victimes.]] a déferlé, marquant une étape décisive dans la libération des femmes et du désir. Or dans le même temps, nos oreilles ont pu entendre l’onde de la critique, celle d’une peur de l’avènement d’une société puritaine.

De prétendus libertaires comme de fieffés réactionnaires ont entonné ce refrain bien connu des mouvements féministes. Comme si dénoncer le harcèlement, les violences sexistes et sexuelles conduisait vers un monde austère, sans plaisir.

Les féministes, ces « mal baisées »

Historiquement, les puritains désignaient une secte presbytérienne anglaise très rigoriste. Persécuté au XVIIe siècle, ce courant calviniste voulait « purifier » l’Église d’Angleterre du catholicisme. Le sens moderne du puritanisme en est fort éloigné puisqu’il qualifie un rigorisme moral opposé à l’hédonisme. Rien de religieux désormais, plutôt un projet de nature philosophico-politique. Les synonymes de “puritain” trouvés dans les dictionnaires contemporains donnent le ton : chaste, prude, moraliste, pudique, rangé, ascétique…

Comment un mouvement exigeant la fin de relations violentes et dominatrices, revendiquant l’émancipation des femmes peut-il être taxé de puritanisme ? L’accusation n’est pas nouvelle, elle se traduit brutalement depuis longtemps par une idée reçue sur les féministes, ces « mal baisées ». Ainsi, critiquer les normes traditionnelles de séduction et de sexualité reviendrait à rejeter la séduction et la sexualité.

Quelle aporie ! Serait-il si difficile d’imaginer le sexe et la drague en dehors des stéréotypes, de ces rôles imposés par la domination masculine et l’asymétrie entre les hommes et les femmes – le prince charmant et la belle au bois dormant, le sujet et l’objet, etc. –, au point que les remettre en cause mènerait à abolir la séduction et la sexualité elles-mêmes ?

S’émanciper des schémas imposés

Aspirer à d’autres rapports ne signifie en aucune manière viser, in fine, pas ou peu de rapports. Gageons même que la sexualité libérée de la peur d’être violée, la séduction libérée de la crainte d’être harcelée peuvent démultiplier l’envie d’accepter la rencontre, d’avoir une relation sexuelle.

Gageons encore que les hommes pourraient, eux aussi, ressentir davantage de plaisirs s’ils s’émancipaient des schémas imposés, des attitudes auxquelles ils sont sommés de se conformer. Rechercher le désir de l’autre et non sa domination : là se joue la profonde différence. Ce bougé radical dans la conception de la séduction et des rapports charnels entre les sexes suppose toujours d’attirer l’autre à soi, mais pas pour le posséder : pour nourrir une relation entre sujets libres et égaux.

Ce que porte #metoo, c’est le basculement vers un monde dépris de la vision historique du désir masculin comme nécessairement prédateur et du désir féminin comme définitivement passif. Est-ce pour autant la fin du désir et du plaisir ? Évidemment non. C’est peut-être même le début du désir et du plaisir, leur entrée dans une nouvelle ère, un nouveau genre. Rien de prude, de rangé ou de chaste. Mais tout de la liberté véritable.

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