Styles

L’Enchanterie est l’un de ces beaux romans comme André Stil a su les écrire en un demi-siècle, traversé par la recherche fougueuse du bonheur d’être, de vivre.

L’enfant regarde ses mains, et ce qu’elle a dans les mains « : une flûte, même pas de bois, en plastique gris, achetée par son père au-delà du Perthus.  » Il bat, de toute la puissance de l’amour à l’instant donné.  »  » Il « , c’est le coeur de Ion, violoniste roumain venu en France à l’effondrement du régime de Ceaucescu. Entre ces deux phrases, il y a le roman de Laure qui, malmenée par trente années de vie, a pourtant conservé toute sa douceur et un libre accès au bonheur. On entre dans un roman d’André Stil comme on traverse un jardin de fleurs et de légumes avant d’entrer dans une humble maison. On parle, on regarde, on écoute. La visite terminée, on peut ressortir de la maison par le jardin et, au passage, prendre plaisir aux chants des cigales ou des merles, aux senteurs des épis mûrs… On pourrait donc voir dans l’Enchanterie trente ans de l’histoire d’une femme née dans une vieille famille du Roussillon et qui, devenue institutrice, épousera son professeur de guitare puis, veuve, mettre au monde une petite fille et, après un long veuvage, connaîtra un musicien roumain. Mais ce serait en rester à une coquille vide. Le récit chronologique, sous forme de brefs tableaux, emporte le lecteur dans les tréfonds de la vie et de l’expérience de Laure amoureuse, mère et artiste et nous la rend intime. Son premier amour est un amour d’école maternelle. Une année de différence viendra les séparer, avant que Laure n’apprenne plus tard ses mauvaises fréquentations et son incarcération pour vol et proxénétisme. Puis Jean-Pierre entre modestement dans sa vie. Il a quarante-six ans, elle vingt-deux. Elle l’épouse. Elle est enceinte. Une nuit qu’il revenait de chez des amis, sa  » voiture s’est jetée sur un platane, à gauche […]. Mort sur le coup « . Pudiquement, André Stil ne dit rien des premières années où Laure seule avec Lise  » a retrouvé son chemin  » et s’est arrangée pour  » profiter  » pleinement de son enfant.  » Pour un enfant, tout le Roussillon est un manège « .

La musique, l’enfance, la littérature

Imaginons le plaisir de l’une et de l’autre, quand André Stil écrit:  » Demandez une autre enfance, et une mère qui vous les (les petites Pyrénées) fasse mieux visiter, la main dans la main.  » Mais il y a aussi dans la vie de Laure le chant et la musique que l’on voit naître et se développer avec le même calme et la même force. La flûte a pu être abandonnée dans son coffre à jouets, Laure n’en a pas moins découvert au gré des rencontres sa voix et le bonheur de chanter.  » Chanter l’éclaire, de l’intérieur par ce qui monte en elle d’inattendu, surtout dans ses solitudes.  » Jusqu’à ce moment déclenché par une note brève de son défunt mari qui lui fait découvrir  » y compris à travers De l’Amour de Stendhal  » les chants d’amour du tragique poète castillan Guillaume de Cabestany, puis traduire, pour les chanter  » les faire revivre quand, après quelques pauvres siècles, ce castillan-là est devenu langue morte. Miracle de l’écriture réussie, on n’aura pas attendu cet instant presque ultime du roman pour saisir la métaphore chant-littérature et se permettre de voir un peu de l’écrivain à travers son personnage (et ses personnages). Comment ne pas retrouver ici celui qui, par l’écriture, aura toute une vie recherché le bonheur en dépit de drames personnels et familiaux ? Qui d’entre nous et des autres resterait insensible à la sincérité de celui qui fait dire à Ion, le dernier compagnon de Laure, revenant sur son passé:  » J’aurais cassé mon violon balbutiant sur la tête de tous les  » ennemis  » vrais ou faux, passés ou à venir, comme si la grande affaire était de se trouver le plus possible d’ennemis, et non d’aimer, pour en être aimé, passés, futurs, et surtout présents, le plus possible d’amis  » ? Et conclure sur la vie qu’il aurait voulue:  » Une vie que j’aurais choisie, sans nuire à personne. Ne sera humaine qu’une société où cette liberté de chacun sera garantie par tous.  » n F. M.

André Stil L’Enchanterie, Grasset, 175 p., 105 F

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *