C’est l’un des artistes français vivants les plus connus à l’étranger. Dès la fin des années 60, il travaille de concert avec des artistes qui, comme lui, s’intéressent aux inventaires, à la façon de Perec en littérature.
L’exposition que consacre le Musée d’art moderne de la Ville de Paris à l’oeuvre de Christian Boltanski est intéressante à plus d’un titre. Elle montre la façon dont une installation, de la même manière qu’une partition musicale, peut être jouée et rejouée par différents interprètes, paramètres que les artistes intègrent de plus en plus dans leur travail. Ici sont présentées des installations créées en d’autres lieux et d’autres temps, et que l’artiste réinterprète en fonction du parcours et de l’espace dont il dispose.
Leçon des ténèbres, inventaire, image modèle
Le parcours tient de la leçon des ténèbres et de l’inventaire en même temps que de l’image modèle, termes employés par Boltanski lui-même: leçon des ténèbres parce qu’il confronte le visiteur à l’image de la mort, de la mémoire et de l’identité; inventaire, car la pièce intitulée les Registres du grand Hornu aligne des parois de dossiers marqués par des photos d’individus. L’alignement de photos couvrant des murs entiers tient également de l’image modèle. Les photos représentent des ouvriers, des criminels, des bons et des méchants, mais mêlés, ils sont des êtres humains dont la mémoire, comme l’image photographique, tend à s’effacer. Ces portraits peuvent rappeler un ancêtre, un ami perdu, une personne croisée, l’album photographique que chaque famille possède ou que l’on peut trouver, abandonné au marché aux puces. On reconstitue une histoire à partir de là, on se fait un scénario, tout comme lorsque Boltanski reconstituait ses souvenirs d’enfance, mélangeant le faux et le vrai jusqu’à ne plus démêler lui-même les souvenirs écrans, les faux et les vrais souvenirs. Ce qui compte c’est que, face à son travail, on ne » découvre » pas mais que l’on » reconnaisse » et » s’approprie de façon directe » ce qu’on regarde sans savoir si c’est de l’art ou non. Pour Boltanski, le meilleur survient lorsque le spectateur ne reconnaît pas l’oeuvre en tant qu’art. Après, l’esthétique entre en jeu et l’appréhension devient plus formelle. C’est ce qui a poussé Boltanski à utiliser l’installation, comme une partie de cette génération des années 60 pour laquelle un tableau était immédiatement reconnaissable en tant qu’oeuvre d’art alors que les installations portaient encore une énigme. Aujourd’hui, l’installation est reconnue, mais lorsque Boltanski expose hors-musées, le public peut croire qu’on rend un hommage à quelque disparu; ainsi lorsqu’une femme lui demande, dans une église, quelle est la cérémonie que l’on prépare.
L’art de la commémoration dédiée à l’homme au quotidien
L’art de Boltanski est un art de la commémoration qu’il dédie non pas au héros mais à l’homme du quotidien. C’est cette relation qui marque toute son oeuvre où le corps humain est de plus en plus absent, mais de plus en plus présent par l’allusion. Dans l’installation des lits que l’on peut voir à l’exposition, le corps est présent par les objets, les lits aux mensurations différentes, allant même jusqu’à la taille de l’enfant, l’oreiller, le voile évoquant le voile du deuil ou celui du lit, l’éclairage au néon qui rappelle celui du milieu hospitalier. On est loin du Boltanski des » saynètes » où l’artiste rejouait les événements de son enfance inventée. Celui qui muséographiait les essais de reconstitutions des objets du » petit Christian » a disparu. Mais reste la fragilité du souvenir. Lorsque Boltanski amasse des vêtements récupérés, des objets trouvés et qu’il les classe, dans un ordre qui n’est que celui des étagères, quel souvenir a-t-on de la vie qui est advenue avant la perte de l’objet ? N’y a-t-il là que des objets, ou au contraire des objets symboliques marquant la perte de l’identité d’un sujet ? L’art de Boltanski est marqué par cet échec absolu de l’art et de l’artiste qui ne pourra jamais rendre compte de la vie mais ne peut que permettre à la symbolique du deuil et du souvenir de s’accomplir. C’est à cet endroit que l’art de Boltanski dérange. n L. B.
Paris, Musée d’art moderne de la Ville, jusqu’au 4 octobre.
1. Vallauris, Musée national Picasso, jusqu’au 5 octobre. Catalogue de l’exposition préfacé par Jean-Pierre Jouffroy. 127 pages, 145 F. Editions RMN.
2. Biot, Musée Fernand Léger, jusqu’au 30 septembre. Journal illustré en couleur, 25 F. Editions RMN
3. Nice, Musée national Message biblique Marc Chagall, jusqu’au 5 octobre. Catalogue, 104p., 160 F. Editions RMN
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