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Picasso, voir et lire Trois géants dans l’été de la Côte d’Azur, chacun dans le musée qui lui est consacré, à Vallauris, à Biot, à Nice. Chacun sous un éclairage qui détaille une période précise de son oeuvre. Un ensemble qui montre bien l’exceptionnelle diversité de l’art moderne en France.
Picasso la Guerre et la Paix
C’est au printemps 1948, il y a cinquante ans, que Pablo Picasso s’installe à Vallauris. Une nouvelle période de l’oeuvre du peintre s’ouvre alors. Il aborde les techniques du linoléum, les sculptures d’assemblage et surtout de la céramique. Evidemment, Pablo Picasso n’abandonne pas la peinture. On le sait, il aimait particulièrement les grandes surfaces. Il s’en était confié à Dor de la Souchère, conservateur du musée d’Antibes: » Moi qui suis fait pour peindre de vastes surfaces, l’Etat ne m’en a pas donné. » Est-ce pour cette raison que la chapelle de Vallauris datant du XIIe siècle, aux vastes murs nus, lui est soudain apparue comme digne d’intérêt ? La proximité de Matisse qui, à Vence, travaillait à la chapelle du Rosaire, a-t-elle été un élément déterminant dans ce choix ? Selon Georges Tabaraud, alors rédacteur en chef du journal le Patriote, il n’a, en tout cas, jamais été question de commande. Peut-être, simplement, une demande. Toujours est-il que va naître dans l’esprit du peintre puis sous son pinceau une oeuvre qui occupe une place à part. En 1952, lorsque est dévoilée la Guerre et la Paix (le public ne pourra la voir qu’en 1959), il est évident que le maître catalan a tenu à mettre son art au service d’une forte préoccupation et surtout de son engagement politique aux côtés du PCF. En 1950, en effet, une rencontre internationale de la Jeunesse pour la Paix, regroupe à Nice des milliers de Français et d’Italiens. Picasso, qui milite activement au mouvement de la Paix, la préside. Un an plus tard, il exécute Massacre en Corée. D’une certaine manière, on peut dire qu’il retrouve cette veine d’où étaient sortis Guernica (1937) et le Charnier (1945), bien que cette fois l’allégorie et la couleur marquent la composition. Aux femmes nues dansantes, entourées d’enfants et d’un Pégase labourant, de pommes d’or et d’oiseaux, dans un décor dominé par le blanc et le bleu, s’opposent des hommes en armes, un char de la mort destructeur qui foule aux pieds un livre et s’avance menaçant vers un bouclier sur lequel resplendit une colombe, tenu par le lutteur du Bien. Des couleurs sombres, déchirées, guerrières. Des panneaux constitués de rectangle d’isorel, matériau souple qui a permis l’installation sur les voûtes. Paradoxalement, la Guerre et la Paix est » connue sans l’être « , comme le relève fort justement Dominique Forest, conservateur du musée Magnelli à Vallauris et commissaire de l’exposition avec Jean Lacambre. De fait, cette oeuvre n’a fait l’objet que de deux ouvrages. C’est dire si la présentation des dessins préparatoires et surtout des carnets réalisés en 1953, un an après son achèvement, offre un intérêt majeur. On y voit comment, en un style étonnamment rapide, Picasso développe les thèmes utilisés par la suite: danse de petites filles, l’homme-hibou… Au fil des esquisses et des croquis on voit la mise en forme virtuelle de l’oeuvre, l’apparition de nouvelles formes que l’on retrouve dans la composition finale. Dans les dessins réalisés par la suite (pratique assez habituelle pour le peintre), on relève curieusement des variations, notamment autour de la Paix. Dès son ouverture, le public ne s’y est pas trompé qui a baptisé l’endroit le » Temple de la Paix « . C’est que le peintre n’a jamais voulu tremper dans un art religieux quel qu’il soit. Iconoclaste à sa manière » le portrait réalisé à la mort de Staline, exposé ici, et dont on sait l’accueil violent que lui avait réservé la direction du PCF, le montre à l’envi » Picasso a toujours exploré les voies qu’il jugeait les plus aptes à exprimer sa vision du monde. La Guerre et la Paix, bien que dernier du genre, est à cet égard un jalon trop souvent sous-estimé.
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Léger, 1910-1930 les années décisives
On ne dira jamais assez combien les travaux réalisés actuellement au Centre Georges-Pompidou rendent heureux les conservateurs de grands musées français. Les oeuvres du Musée national d’art moderne sont en effet disponibles et, louable initiative, viennent, pour un temps, rejoindre les riches collections de province. C’est le cas pour le musée Fernand-Léger de Biot qui, sous la houlette de son conservateur, Brigitte Hedel-Samson, entreprend, depuis près de trois ans, une véritable renaissance de ce lieu créé grâce à la générosité et l’abnégation de Nadia Léger et Georges Bauquier. Ce regroupement permet ainsi de présenter les années 1910-1930 dans un spectre large et de mieux saisir les influences subies par Léger et surtout l’originalité qui se fait jour. La Couseuse, certainement réalisée en 1909-1910, de facture cubiste, doit beaucoup à Cézanne. On y décèle pourtant ce qui sera par la suite un trait essentiel des recherches du peintre, essentiellement axé autour des formes et des volumes avec la problématique qui s’y rattache, à savoir le traitement des objets et des humains. Avec, évidemment, cette présence des couleurs, notamment au travers des aplats, une constante dans son oeuvre. Après la Première Guerre mondiale, la fascination de Léger pour l’objet est dominante, la couleur se mettant alors au service de la composition (le Pont du remorqueur » 1920 ou encore les Disques dans la ville » 1920). Nul enfermement, comme on peut le constater à travers d’autres toiles où la figure humaine réapparaît, mais encore dépersonnalisée. C’est particulièrement vrai dans la série des Paysages animés. Dans les années suivantes, il va encore plus loin dans l’exploration de l’espace. A l’occasion de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, Léger réalise des panneaux décoratifs (deux compositions murales sont présentées à Biot) où, selon son expression, il » sublime » les surfaces. S’ouvre aux alentours de 1927 une nouvelle période, plus abstraite, caractérisée par l’intégration d’objets opposés dans un espace éthéré, aux couleurs vives (les Quatre Chapeaux, composition, 1927, la Joconde aux clés, 1930).
Chagall voyages et rencontres
En 1923, Chagall revient à Paris. Il connaît bien la capitale française où il a séjourné de 1910 à 1913. L’occasion de rencontrer Modigliani, Soutine, Léger ou encore Lipchitz. Pourtant, quelque chose a bouleversé sa vie. Son adhésion à la révolution russe (en 1917, il est commissaire des Beaux-Arts et fonde l’académie de Vitebsk à laquelle il demande à des artistes comme Lissitsky et Malevitch de participer) s’est transformée en désillusion. Il choisit de quitter son pays. Jusqu’en 1939, il va ainsi développer sa palette, tenter de retrouver, sur la toile, son passé, exprimer ses états d’âme et son bonheur familial, retranscrire ses impressions de voyage. C’est ce que présente le Musée national Message biblique à Nice. Le thème choisi par le directeur du lieu, Jean Lacambre, explique en partie l’aspect un peu » décousu » de l’exposition. Il ne s’agit pas tant, en effet, de repérer sur une période les oeuvres majeures que de saisir plutôt une sensibilité, un parcours susceptible de donner des indications sur l’homme. En 1923, Marc Chagall reprend des thèmes déjà exploités dans les années 1910 et dont il ne détient plus les tableaux. Il va même jusqu’à reproduire à l’identique certains d’entre eux, en tout cas dans la composition générale, comme le Veau jaune, à rapprocher d’une oeuvre de 1911, intitulée la Vache dans la chambre. Sa rencontre avec le marchand Ambroise Vollard l’amène à la gravure: illustration des Ames mortes, de Gogol, où Chagall se replonge dans la Russie ancienne et les Fables, de La Fontaine. Jusqu’en 1939, Marc Chagall, effectue de nombreux voyages. En France (Côte d’Azur, Céret) mais aussi à l’étranger (l’Enceinte de Jérusalem près du portail de la Grâce). La montée du nazisme en Europe, les pogroms, la persécution des juifs, l’amènent à s’imprégner toujours plus des thèmes bibliques (la Crucifixion blanche, 1938), dont on sait qu’ils occuperont ensuite une place majeure dans son travail. Il perçoit le danger destructeur mais ne peut s’empêcher de décrire des moments de bonheur, laissant alors la couleur envahir la toile (les Mariés de la Tour Eiffel, 1938-1939). En 1941, il choisit cependant l’exil aux Etats-Unis.
1. Vallauris, Musée national Picasso, jusqu’au 5 octobre. Catalogue de l’exposition préfacé par Jean-Pierre Jouffroy. 127 pages, 145 F. Editions RMN.
2. Biot, Musée Fernand Léger, jusqu’au 30 septembre. Journal illustré en couleur, 25 F. Editions RMN
3. Nice, Musée national Message biblique Marc Chagall, jusqu’au 5 octobre. Catalogue, 104p., 160 F. Editions RMN
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