À gauche, le retour du possible ?

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Déplorable, cette campagne présidentielle ? Si son issue risque de l’être, elle aura auparavant imposé un débat ordinairement interdit sur l’économie qui nous gouverne, et rendu à une gauche encore fracturée la possibilité d’incarner une alternative.

Secouée par les affaires, brouillée par les vainqueurs inattendus des primaires PS et LR – qui connurent ensuite le plus de déboires –, marquée par l’émergence parfaitement préparée d’Emmanuel Macron et celle beaucoup moins attendue de Jean-Luc Mélenchon, la campagne présidentielle a conduit, en la veille du premier tour, à une situation de très grande incertitude quant à son issue.

En témoigne la convergence des courbes d’intentions de vote en faveur des quatre candidats qui se dégagent aujourd’hui et que la marge d’erreur des sondages (dont on sait qu’elle peut être bien plus que technique) ne permet pas de hiérarchiser avec quelque assurance – au point que certains suspectent une pratique de « herding » de la part des instituts, c’est-à-dire une volonté de lisser et d’harmoniser leurs estimations respectives.

À la veille de quoi ?

Peut-être les résultats officiels seront-ils un tant soit plus plus tranchés, et permettront-ainsi aux commentateurs de construire rétrospectivement la signification du scrutin. Mais aujourd’hui, force est de constater que l’incertitude donne à ce dernier l’apparence d’une « loterie »… qui ménage pour le second tour des scénarios totalement antagonistes quant à leurs conséquences politiques.

Seule quasi-certitude, à ce jour : la vaporisation d’un Parti socialiste discrédité, dont Benoît Hamon n’a pas mérité d’être la victime expiatoire, mais qui sanctionne à la fois les intenables contradictions idéologiques en son sein et des démissions que le quinquennat aura poussé à l’extrême. Au moins devrait-on en finir avec l’usurpation du label « de gauche », pérennisé comme simple désignation toponymique en dépit des évidences et du sens des mots. À ne plus avoir que l’objectif de la conservation du pouvoir à tout prix – le prix de reniements accumulés conduisant à ne plus proposer qu’une politique du moins pire ne parvenant même plus à convaincre de cette nuance –, le PS en est arrivé à une autodissolution dont on espère qu’elle accélère l’indispensable recomposition de l’offre politique à gauche.

Malgré la radicale redistribution des cartes des derniers mois, le cauchemar d’un second tour Fillon-Le Pen, initialement annoncé comme le plus probable, reste possible. Il constituerait une terrible faillite républicaine, l’injonction à repousser le spectre du FN conduisant à élire un personnage incarnant la corruption de la classe dirigeante, en parfaite contradiction avec les aspirations croissantes en faveur d’une restauration démocratique et morale. On ne peut imaginer pire duel, et pire président que Fillon pour précipiter le dégoût de la chose publique et l’avènement du Front national à moyen terme, si ce n’est dans l’immédiat. Sans même évoquer les conditions délétères dans lesquelles son pouvoir devrait s’exercer.

La possibilité d’une alternative

Si Marine Le Pen est opposée à Emmanuel Macron, la prévisible élection de l’ex ministre de l’Économie n’enrayera évidemment pas la poursuite des politiques libérales dont le candidat « en marche », produit de la situation, est la pure incarnation, ne se distinguant essentiellement de Fillon que par son refus apparent de jouer la partition identitaire et réactionnaire. En pareil cas, l’alternative politique restera peu ou prou inchangée : le FN continuera de jouer le rôle de repoussoir utile à assurer l’hégémonie libérale, malgré la contestation de celle-ci par des franges de plus en plus larges de la population. De ce point de vue, le choix entre Macron ou Fillon n’offrirait aux électeurs de gauche que des différences de degré dans la défaite et l’écœurement.

On peut penser ce que l’on veut du personnage de Jean-Luc Mélenchon et de sa capacité, s’il arrive au pouvoir, à imposer un véritable « changement », mais il faut lui reconnaître d’avoir mené une campagne au long cours dont la consistance politique – au-delà de l’habileté des moyens mobilisés – est inédite depuis des années. Il a imposé des thèmes centraux pour la société française, mais soigneusement écartés par les ordonnateurs du débat public : celui d’un sursaut démocratique avec l’aspiration à une VIe République, mais aussi celui d’une remise en cause du modèle économique qui nous gouverne et dont une majorité d’électeurs a parfaitement compris qu’il ne nous gouvernait pas dans l’intérêt général.

La France insoumise n’a pas été seule à porter une critique plus ou moins radicale de l’empire de « la finance » au cours de cette campagne qui a étonnamment, rétabli une forme de pluralisme interdit en temps ordinaire. Mais son candidat est parvenu à l’incarner et à fédérer au-delà de son audience de départ (on jugera plus tard dans quelle mesure son appel au peuple plutôt qu’à la gauche, inspiré de Podemos et de Chantal Mouffe, aura été gagnant).

S’arracher à la résignation

On doit ainsi créditer « JLM » d’avoir ramené de la politique dans un espace politico-médiatique qui n’aspire rien tant qu’au processus dépolitisant des débats tranchés d’avance et de l’absence d’alternative. L’ampleur de la consternation qu’a semée chez les gardiens de l’ordre son émergence est un indice de leur panique.

Comme le souligne Frédéric Lordon, l’assimilation persistante de Mélenchon à Le Pen témoigne de la grande peur de voir se « rouvrir la possibilité que le système, aidé de son monstre, s’efforçait de maintenir fermée : la possibilité de faire autre chose ». Peu suspect de mélenchonisme, il exprime toute la circonspection requise et n’écarte pas l’hypothèse qu’une arrivée de JLM à l’Élysée ne serve pas les aspirations qu’il est parvenu à incarner[[Il conditionne notamment la réalité du changement possible à la poussée populaire qui devra immanquablement l’accompagner, en posant deux questions : « Va-t-on plus loin, ou moins loin, avec un élu qui affiche lui-même cette direction ? » ; « « on » sera-t-il suffisamment nombreux pour aider l’élu — et si nécessaire, le pousser au train — afin de convertir l’encre des programmes en réalité ? ».]], mais il voit dans cette simple possibilité un signe de la défaite selon lui « déjà consommée » du capitalisme et du néolibéralisme : « Les données générales de la légitimité sont sur le point de basculer. Que le capital soit plus agressivement conquérant que jamais n’empêche pas qu’il est en train de perdre la bataille du bon droit », estime-t-il.

Alors, on peut encore, à gauche, se réfugier dans la confortable habitude du pessimisme [[Lire « La gauche peut-elle encore convertir la tristesse en colère ? » de Marion Rousset, Regards hiver 2017.]], estimer comme les anarcho-abstentionnistes – non sans quelque fondement – qu’aucune révolution ne viendra jamais des élections, ou encore minauder en prenant prétexte de désaccords secondaires ou d’irritations personnelles[[Il ne s’agit de considérer comme négligeables les doutes que suscitent certains aspects du programme de la France insoumise ou certaines positions de Jean-Luc Mélenchon, mais s’il ne fallait voter que pour des candidats et des programmes suscitant une adhésion totale, on ne voterait jamais.]]. Mais, même si l’élection doit nous infliger une des alternatives désolantes évoquées plus haut, courons au moins la chance qu’elle ménage le sentiment que la désespérance n’est pas fatale. Le fatalisme et la résignation sont précisément ce dans quoi l’ordre actuel tient à nous maintenir.

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