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Izzo broie du noirVoici seize ans que Thierry Jonquet s’est embarqué sur la galère des romanciers flibustiers, pavillon noir au vent:  » J’étais un flibustier qui se perdait dans la mer de l’emploi du temps à la faveur de la moindre brise « , confie-t-il dans Trente-sept annuités et demie, texte drolatique qui ouvre ce recueil, où il évoque son passage au sein de l’Administration à la manière d’un Barteleby (Meleville) revu et corrigé par Groucho Marx… Seize ans qu’il écrit surtout des romans, mais aussi quelques nouvelles: neuf au total, ici réunies sous le titre de l’une d’entre elles, la Vigie… Rôle d’importance sur un navire de pirates, qu’il soit de haute mer ou de la littérature (la noire). Joseph Conrad en savait quelque chose. Un bon écrivain sait voir et donner à voir au lecteur. Comme dans tout recueil de nouvelles réunies pour l’occasion, il est difficile de trouver un fil conducteur à l’ensemble. Disons qu’à travers ces neuf textes on peut déceler l’étendue du talent de son auteur. Il sait décrire des personnages, jouer avec les mots et les thèmes. Jonquet paraît capable de tout écrire: gros romans noirs (on l’a vu avec les Orparilleurs et Moloch), chroniques sociales (le Témoin est directement tiré d’un fait divers), livres historiques et de science-fiction (la Bataille des Buttes-Chaumont et la Vigie), rêveries fantasmatiques (That’s entertainment et la Colère d’Adolphe), etc. Avec le Témoin (la séance de torture d’un caïd de la drogue sur un dealer de cités), Jonquet réussit à reproduire le langage des banlieues sans clichés ni tabou. Puis, il imagine la rencontre entre Lucky Luciano, Al Capone, Gengis Khân, le général Custer, Gilles de Rais, Pol Pot, Néron, Jack l’Eventreur et Landru… à Treblinka Street (That’s Entertainment). Mephisto compte les points.

Autre décor avec la Colère d’Adolphe. Nous quittons l’enfer des meurtriers pour le paradis des musiciens. Mozart, Beethoven, Lully, Rameau, Charlie Parker et Coltrane tapent un boeuf à l’arrivée d’Albert Ayler… sans Wagner qui boude dans son coin. Et Adolphe Saxe bat la mesure… Jonquet a de l’humour (noir), mais ça ne l’empêche pas d’être obsédé par la mort… comme tout artiste (et pirate) qui se respecte. Pourvu que la Blanche nous le pique pas celui-là… n G. C.

Thierry Jonquet, La Vigie et autres nouvelles, L’Atalante, 188 p., 60 F

Izzo broie du noir

Autant vous le dire tout de suite: Solea finit mal mais c’est très bien ainsi. Né en 1945 dans la cité phocéenne, où il réside toujours, Jean-Claude Izzo a été rédacteur en chef de la Marseillaise. Il quitte le Parti communiste français en 1978, lors de la rupture de l’Union de la gauche. Il y a dix ans, il crée avec Michel Le Bris le festival  » Etonnants voyageurs  » de Saint-Malo (1). Aujourd’hui, Solea, qui clôt la trilogie consacrée à Marseille, a l’honneur de porter le numéro 2500 de la  » Série Noire « . Elle porte bien son nom… Jean-Claude Izzo a connu le succès (littéraire) dès son premier roman, Total Khéops (Série Noire), en 1995. Chourmo, publié l’année suivante, se vend également comme des petits pains. Il publie ensuite les Marins perdus (Flammarion) en 1997, puis un recueil de poèmes aux éditions du Ricochet (Loin de tout rivage, 1997) et Vivre fatigue (Librio, 10 F). Silea, troisième volet des aventures de Fabio Montale ( » flic nonchalant et gastronome « ) casse la baraque depuis sa parution en mai dernier (40 000 exemplaires vendus en un mois). Paroles d’un pessimiste qui aime la vie et Jim Harrison.

 » J’ai écrit le premier (Chourmo) sans savoir que j’allais en écrire un deuxième. En revanche, je savais que je n’en écrirais pas cinquante. En entamant Solea, je prévoyais d’en finir avec Fabio Montale (…) Il y a un peu de moi en lui évidemment. Des choses personnelles, des valeurs: le plaisir de manger, ou de boire du bon vin, par exemple. Mais j’ai horreur de la pêche, par contre… Je n’ai jamais été flic. Tous les personnages sont inventés. Mais inspirés d’amis… Le seul vrai, c’est Hassan, le patron du  » Bar des Maraîchers « . Et les jeunes, c’est mon fils et sa bande de copains. Difficile d’analyser mon succès. Je ne pense pas être un écrivain consensuel. Il y a un certain nombre de gens qui ne me liront pas… Je ne fais pas de concessions, ni dans le fond ni dans la forme. Je crois que les lecteurs se retrouvent dans le personnage de Fabio Montale, et dans ce que disent mes romans: y compris les problèmes de couple, l’amitié. Chacun trouve dans Montale l’ami qu’il cherchait (…) On me dit souvent que c’est noir et pessimiste, mais le plus beau compliment que l’on me fait régulièrement, c’est de dire que, lorsqu’on referme Solea, on a une putain d’envie de vivre ! Je suis touché, car c’est la sensation que ça me fait quand je lis Jim Harrison (…) Oui, comme Montale, je suis pessimiste. L’avenir est désespéré. Mais c’est pas moi qui suis désespéré, c’est le monde… Je dis qu’on peut résister, transformer, améliorer, mais de toute façon on est coincés. On ne peut rien changer fondamentalement. Par contre, dans l’espace qu’on a, on peut être heureux.

 » Je ne crois plus les politiques qui me disent: demain ça ira mieux, ou la révolution va tout changer. (…) Tout ce que j’écris sur les implications de la mafia dans la région PACA est vrai. Mon passé de journaliste doit y être pour quelque chose… (…) Ecrire des polars n’est pas une autre façon de militer. C’est juste une manière de faire passer mes doutes, mes angoisses, mes bonheurs, mes plaisirs. C’est une manière de partager. Bon, à l’exception de l’opposition au Front national, je n’ai pas à dire: il faut faire ceci ou il faut faire cela. Je raconte des histoires. Tant mieux si cela donne à certains l’envie d’intégrer une association. Montale, il n’appartient à aucun parti. Il a des valeurs. Il doute. Il est solitaire. Mais il croit à un certain nombre de choses (…) Je vais alterner romans noirs (Série Noire) et romans plus classiques, chez Flammarion.

Par G. C.

1. La revue Gulliver, spécialisée dans la littérature de voyage, créée en 1990 par Michel Le Bris, renaît avec Librio. Un livre consacré à la Méditerranée (Librio, 10 F), présenté par Michel Le Bris et Jean-Claude Izzo, aura servi de déclencheur. Premier numéro en septembre prochain (100 p., 10 F).

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