[La campagne de plus près – 2/4] Nous poursuivons notre prise de température de l’électorat loin des cercles politiques, cette fois dans un cabinet d’architecture où s’expriment attentes et positions contradictoires pour les candidats « de gauche ».
Les cabinets d’architecture n’ont pas la réputation de voter à droite. Surtout si, comme celui à la rencontre duquel nous sommes allés, ils sont spécialisés dans le logement social. Mais, à dire vrai, l’embrouillamini des discours politiques actuels et l’atmosphère de peur un peu rance qui plane au-dessus des toutes prochaines élections pourraient avoir raison de leurs convictions – ou au moins pour certains d’entre eux.
Des six personnes qui composent ce cabinet, sis au pied de la Bibliothèque nationale de France à Paris, trois vont voter Jean-Luc Mélenchon de façon quasi-certaine : il s’agit du couple qui dirige l’agence et du plus jeune des salariés, âgé d’à peine vingt-cinq ans. Leur argumentaire est clair et limpide et convoque des éléments de langage que l’on entend souvent : « On se situe à un croisement des chemins », « la gauche est enfin susceptible de l’emporter », « on est tellement proche de la victoire que ce n’est pas le moment de lâcher prise ».
« À la fin de la fin, je crois que je suis d’accord avec Mélenchon »
Ce sentiment d’être sur le point de « vivre quelque chose d’inédit dans l’histoire de la gauche » irradie littéralement les discours, les sourires et les esprits des trois « pro-Mélenchon » comme ils se définissent eux-mêmes. « Et puis, on n’est pas tout le temps d’accord, mais j’ai réécouté certaines de ses interventions sur YouTube et en fait, finalement, à la fin de la fin, je crois que je suis d’accord. »
Néanmoins, il en faut très peu pour que se fissure la fine écorce de confiance dont il peine à envelopper le candidat des insoumis : « Honnêtement, il me fait peur », n’hésite pas avouer l’un d’eux. « Si ça se trouve, il va se transformer en dictateur et ce sera de notre faute… Franchement, cela aurait été plus simple si Hamon n’avait pas été au Parti socialisse (sic) et s’il avait pu faire une vraie campagne », enchaîne une autre. Certes, cela fait beaucoup de si, mais cela traduit surtout que les électeurs de Mélenchon, si celui-ci arrivait au pouvoir, l’attendent déjà au tournant…
Mais tous ne sont pas de cet avis là : l’un des salariés, lui, pense voter pour Emmanuel Macron. Il est de gauche, certes, de tradition socialiste même, mais vu qu’il ne croit absolument pas en les chances du candidat Benoît Hamon, il s’est reporté sur le candidat d’En Marche. Et il va même plus loin : le candidat du PS aurait « vingt ans d’avance ». Alors, comme il ne veut pas avoir à choisir en François Fillon et Marine Le Pen au second tour, il préfère mettre toutes les chances de son côté dès le premier tour et voter pour « un gagnant ».
D’autant que même si Jean-Luc Mélenchon remonte dans les sondages, il est hors de question de voter pour lui à cause de son alliance avec les communistes, « la crème de crétins » selon ses propres termes, et sa volonté de sortir de l’Europe – même si on a tenté de lui expliquer, en vain, que ce n’était pas vraiment le cas…
« Voter pour Hamon, ce serait presque comme voter blanc »
Tout ça, ça fait un peu hérisser le poil à la Belgo-canadienne qui travaille deux postes plus loin – et qui ne pourra pas voter. Pour elle, ce n’est pas tant Benoît Hamon qui aurait vingt ans d’avance que la France qui aurait vingt ans de retard. Et pour cause : on s’apprête à élire Marine Le Pen, « une option qu’il faut à tout prix éviter ».
Mais son point de vue d’observatrice extérieure à la vie politique française et aux affects afférents lui permet de rejeter dos à dos tous les candidats : Mélenchon serait trop agressif et égotique, Hamon n’aurait pas la carrure et « voter pour lui, ce serait presque comme voter blanc », Macron représente tout ce qu’elle abhorre en politique, à la fois sur le plan individuel car c’est « le symptôme d’une élite qui a oublié le peuple » et dans son programme éminemment libéral.
Mais le cas le plus intéressant est celui de l’abstentionnisme volontaire : lui qui a toujours voté, cette fois ne va pas se déplacer jusqu’à l’isoloir. « Personne ne me convient et je me suis rendu compte il y a peu que le fait de ne pas voter pouvait être un choix », assume-t-il. Alors oui, il est de gauche, oui, il se battra contre les idées de Macron, de Fillon ou de Le Pen si l’un d’eux est élu, mais les candidats de gauche n’arrivent pas à le convaincre suffisamment pour qu’il puisse imaginer voter pour eux. Et puis, un peu comme Nathalie Arthaud finalement, il est persuadé que l’avènement de la gauche et de ses idées ne passe pas, ne passe plus par la présidentielle.
Aurait-il raison ? On veut bien essayer Mélenchon une dernière fois, mais si ça rate comme en 1981, alors faudra pas nous en vouloir de ne plus croire du tout dans notre système démocratique ensuite. À bon entendeur, salut.




Laisser un commentaire