Isabelle Attard : « Tout est encore possible à gauche »

L’affaire Baupin, l’accord PS-Verts, sa candidature aux législatives et son éventuel soutien à un candidat à la présidentielle : la députée écologiste du Calvados, ex-EELV, explique comment elle voit la gauche aujourd’hui, et la place qu’elle peut y prendre.

Regards. Le Tribunal de grande instance de Paris a classé sans suite votre plainte contre Denis Baupin – accusé d’agression et de harcèlement sexuel. C’est un combat perdu ?

Isabelle Attard. Non. Le procureur nous a d’ailleurs donné raison. L’enquête prouve que nos témoignages étaient recevables, crédibles et vérifiés. Le tribunal reconnaît que certains faits auraient pu être condamnés au pénal. C’est donc une première grande victoire. Et une vraie reconnaissance.

Denis Baupin va porter plainte contre vous…

C’est ridicule. Il n’a pas encore porté plainte. Il dit qu’il va porter plainte. Il y a plusieurs objectifs à cela. Il espère ainsi dissuader d’autres femmes de parler. De leur faire peur. C’est une tentative d’intimidation alors que nous venons au contraire de les encourager à le poursuivre en justice. Il est aussi probable qu’il cherche à gagner du temps. N’oublions pas que nous sommes en période électorale, que sa femme – ministre – est candidate aux législatives.

Quelle suite allez-vous donner au combat que vous avez engagé avec toutes ces femmes victimes de violences et de harcèlements ?

On va essayer d’obtenir les positions des candidats à l’élection présidentielle sur toutes les problématiques liées aux violences faites aux femmes ainsi que sur la question de la prescription. Par ailleurs, on doit s’interroger plus encore : comment s’y prend-on pour faire évoluer notre société sur la question de l’égalité hommes-femmes – qu’il s’agisse de la question salariale ou du sexisme ordinaire ? On doit s’interroger aussi sur la question de la formation et des stéréotypes : comment évite-t-on, par exemple, d’avoir dans un magazine de jouets pour Noël une photo de chambre bleue pour les garçons et une photo de chambre rose pour les filles qui ne comporte pas de bureau ? Parce que les filles ne travaillent pas dans leur chambre, c’est bien connu. On est en 2017 !

« Je veux être la candidate du rassemblement. Celle des écologistes, des socialistes de gauche, des communistes, des insoumis. Et de tous ceux qui n’appartiennent à aucun parti. »

Est-ce qu’on avance dans la bonne direction malgré tout, ou bien au contraire êtes-vous pessimiste et inquiète ?

Les progrès sont très lents. Et je me demande si parfois nous n’assistons pas à quelques régressions. On s’est un peu endormi sur les batailles des féministes des années 60-70 et on ne voit pas à quel point la situation est catastrophique. Quand on parle à des adolescentes, des lycéennes, qui n’ont pas forcément une vision très positive de leur corps, elles trouvent « normal » de faire tout ce que les garçons leur demandent. J’ai parfois l’impression qu’elles ont un sentiment – presque incorporé – d’infériorité devant leurs camarades masculins. Donc il y a du boulot !

Vous lancez votre campagne législative le 14 mars prochain. Avec quels soutiens ?

Je lance ma candidature comme députée-citoyenne. Il ne faut pas oublier que j’ai été élue en 2012 alors que personne ne me donnait gagnante sur une circonscription de centre-droit, voire de droite. Cela fait déjà bientôt deux ans que je n’appartiens à aucun parti politique. Aujourd’hui, je discute mais je ne négocie rien avec personne. Je dis simplement aux uns et aux autres : regardez mes votes, regardez mes positions et si cela correspond à votre vision de la société et à ce que vous attendez d’un député, rejoignez-moi. Je veux être la candidate du rassemblement. Celle des écologistes, des socialistes de gauche, des communistes, des insoumis. Et de tous ceux qui n’appartiennent à aucun parti, qui se retrouvent dans mes idées. Cette gauche-là est majoritaire. Nous serons forts si nous sommes ensemble. Et je peux gagner.

Quel bilan tirez-vous de ces cinq années passées au Parlement ?

Dès 2012, j’ai porté des combats inconnus et qui sont sur la table désormais. Quand je parlais « revenu de base » il y a trois ans, les gens m’écoutaient d’une oreille semi attentive. Aujourd’hui, je me réjouis de voir que Benoît Hamon le place au cœur de son projet. Autre exemple. Nous avons organisé une réunion à quinze kilomètres de Bayeux sur le sujet des pesticides. On était plus de deux cents dans une salle qui débordait. Je ne pense pas qu’il y a cinq ans, ont aurait connu pareille attention des habitants. Je pense encore à d’autres sujets, comme le cannabis par exemple ou les jurys citoyens, la professionnalisation de la politique, de l’éthique et de la morale en politique – des sujets que je porte depuis cinq ans. Sur tous ces sujets, on avance. La société évolue…

« Tant que le PS ne sera pas clair dans ses choix et sa ligne, mieux vaut nous tenir à l’écart et rester prudents. »

Rebondissement, retournement, affaires, trahisons, appels au rassemblement, au vote utile, ralliements, etc. Quelle analyse portez-vous de cette campagne présidentielle ?

Cela fait plus de six mois que je dis aux commentateurs de la vie politique de faire attention. Nous vivons une situation inédite où tout peut arriver. Le pire, c’est qu’on nous refait le coup du vote utile. C’est une catastrophe. C’est ce qui fait que les écologistes il y a cinq ans n’ont pas voté pour Eva Joly et ont préféré François Hollande. Nous devons au contraire tirer les leçons du passé. Et s’interroger : qui est responsable de la progression du Front national ?

Yannick Jadot a-t-il eu raison de s’effacer derrière Benoît Hamon ?

Je ne suis pas convaincue que c’était la meilleure des solutions. C’était une des solutions, mais je pense qu’il fallait surtout aller jusqu’au bout de la démarche de rassemblement et discuter avec tout le monde avant de prendre cette décision. Et je pense aussi qu’il fallait inclure Charlotte Marchandise, la candidate citoyenne, dans cette discussion avec Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Il fallait surtout exiger des engagements fermes sur les contenus de l’accord signé entre EELV et le PS. Aujourd’hui, il ne me paraît pas envisageable d’être candidate à côté de Myriam El Khomri. Je ne peux pas avoir manifesté contre la loi Travail et me retrouver dans une campagne main dans la main avec celle qui a porté cette loi. Il faut de la cohérence. Tant que le PS ne sera pas clair dans ses choix et sa ligne, mieux vaut nous tenir à l’écart et rester prudents.

Est-ce que ça veut dire que les écologistes ont mal négocié leur accord avec le PS ?

Ce n’est pas exactement ce que je dis. Je pense qu’ils espèrent qu’il y aura un déclic et qu’ils vont pouvoir suffisamment peser sur cet accord pour qu’il aille dans le bon sens. Notamment sur la question de la sortie du nucléaire, l’abandon des projets de Notre-Dame-des-Landes, Bure ou de la ligne Lyon-Turin. Ils ont raison d’espérer, mais ils doivent rester vigilants. Quand je vois les noms de celles et ceux qui entourent Benoît Hamon dans l’organigramme de campagne, il y a de quoi être inquiet.

« Quand je vois des députés socialistes investis par le PS alors qu’ils font partie de l’équipe rapprochée de Macron, je me pose des questions sur les intentions réelles du PS. »

D’autant que Jean-Christophe Cambadélis a renvoyé l’accord à l’après premier tour de la présidentielle. Ça sent l’entourloupe ?

Je pense que l’entourloupe n’est pas là. L’entourloupe c’est l’attitude du Parti socialiste face à Emmanuel Macron. Quand je vois des députés socialistes investis par le PS alors qu’ils font partie de l’équipe rapprochée de Macron, je me pose des questions sur les intentions réelles du PS. Quand j’entends des ministres actuels qui se posent la question de leur éventuel soutien au candidat En Marche, je trouve cela très grave. Voir certains ministres attendre les résultats des prochains sondages pour se déterminer et se positionner… c’est le degré zéro de la politique ! Soit c’est la preuve de leur non ossature politique, soit c’est de l’opportunisme. Qu’ils s’assument ! Cette situation est très inquiétante pour la démocratie.

Vous êtes une ancienne directrice de musée – celui de la Tapisserie. La culture n’est pas présente dans cette campagne…

Les programmes culturels des candidats sont extrêmement pauvres. J’aimerais qu’on parle d’autonomie culturelle, de sorte qu’on ne laisse pas tout aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autre Google Art Project. On doit pouvoir protéger notre patrimoine et faire toute la place à nos créateurs. Il y a une grande méconnaissance des enjeux. De même que l’on ne parle pas assez des biens communs. Il faudrait d’ailleurs écouter davantage ce que dit Charlotte Marchandise sur l’ensemble de ces sujets.

Vous avez cité Charlotte Marchandise à plusieurs reprises. Elle aura votre suffrage si elle a le nombre de parrainages suffisants ?

Il y a plusieurs personnes qui m’intéressent dans cette campagne. Elle en fait partie. Mélenchon aussi. Mais si elle a ses signatures, il faudra étudier la piste d’un rapprochement… Pour autant, en terme de débat d’idées, sa candidature est extrêmement positive. Elle est issue d’une expérience démocratique inédite.

Et si elle n’est pas en situation d’être candidate ?

De la même façon que je me bats localement pour réaliser un grand rassemblement, j’espère toujours que celui-ci se fasse pour la présidentielle, et qu’il prenne en compte les mouvements citoyens. Charlotte Marchandise symbolise une aspiration à un renouveau démocratique. Les partis doivent l’entendre. Par ailleurs, je ne suis pas une inconditionnelle de ce scrutin. Parce que je ne crois pas au régime présidentiel. Je suis pour la création d’un régime parlementaire.

Ce que propose Mélenchon…

Eh bien voilà, peut-être qu’il aura ma voix. On verra comment ça évolue, il y a encore trop d’incertitudes.

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