Un hommage à Luce Vigo, fille du mythique cinéaste Jean Vigo, ancienne critique cinéma de Regards, mais surtout amoureuse du 7e art qui aura mis sa passion au service de celui-ci.
Ce matin, lundi 20 février, Luce Vigo sera incinérée au cimetière du Père Lachaise. Celle qui fut critique cinéma à Regards est morte dimanche dernier. Officiellement, elle avait quatre-vingt-cinq ans, beaucoup moins en fait. J’ai eu la chance de la rencontrer, ainsi qu’Émile Breton, il y a quelques années. Je croisais ce couple infatigable dans toutes les occasions que se donne l’Art et Essai faire vivre le cinéma d’auteur. Mais c’est à Regards que nous avons sympathisé. Luce y publiait des chroniques cinématographiques comme elle continuait à le faire dans plusieurs journaux et revues de cinéma, défendant les films qui en avaient besoin, préférant « donner la parole aux créateurs ».
Pour la cinéphile et ancienne étudiante en cinéma que j’étais, Jean Vigo, son père, était un mythe. Écrire dans le même journal, rencontrer et fréquenter sa fille, discuter avec elle, était un grand bonheur. Luce, avec sa gentillesse, sa générosité, sa curiosité et son regard pointu m’a fait oublier sa prestigieuse filiation. Elle était Luce Vigo, amoureuse du cinéma et une très belle personne. Elle racontait ne pas avoir de souvenirs de son père, fils de l’anarchiste Eugène Bonaventure de Vigo, qui avait pris un nom de guerre, Miguel Amereyda, anagramme de « y a de la merde ». Tout un programme, disait-elle, que ce regard sur la société porté par un homme, incarcéré pour ses positions politiques, mort dans des circonstances troubles, en prison, et dont le fils Jean Vigo chercha inlassablement à réhabiliter la mémoire.
Jean Vigo a filmé entre vingt-quatre et vingt-neuf ans, quatre précieux films qui font partie de l’histoire du cinéma. Zéro de conduite, a été interdit par la censure. Pour À propos de Nice, Luce racontait « le plaisir de la découverte de la caméra par un jeune homme de vingt-quatre ans qui réalise son rêve, faire des accélérés, pratiquer le pamphlet cruel ». Jean Vigo meurt quand Luce a seulement trois ans. Sa mère, Lydu Lozinska, d’origine polonaise, disparait quelques années après laissant la petite Luce aux soins du journaliste Louis Martin-Chauffier et de sa femme Simone, qui ont fait partie de l’un des premiers réseaux de la Résistance, le réseau du Musée de l’Homme, et de Claude Aveline, l’exécuteur testamentaire de Jean Vigo.
Luce avait eu la générosité de participer avec Émile Breton à deux manifestations que j’avais organisées au cinéma Champo à Paris. Une rétrospective sur mai 68 et une rétrospective du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. Cette rencontre déboucha sur un petit rôle dans Le Havre, où Luce jouait une caissière de cinéma. « C’’était un petit rôle », disait-elle, mais on voyait bien qu’elle était un petit peu fière de l’amitié d’Aki Kaurismäki. Ce rôle signifiait qu’elle n’oubliait pas que le cinéma est fait de techniciens, de figurants, de la foule obscure des salles obscures. Car en plus d’être critique, elle avait été programmatrice à la Maison de la Culture de Bobigny notamment, où elle n’avait jamais programmé de films de Vigo, racontait-elle…
Avec beaucoup de générosité, elle m’accueillit chez elle, chez eux, dans cet appartement face à la coupole d’Oscar Niemeyer et au siège du Parti communiste. Leur lieu de vie était tout autant habité par eux que par le cinéma. Luce était une femme moderne et curieuse des soubresauts du monde et des différentes écritures cinématographiques. Elle s’occupait depuis plusieurs années du prix Jean Vigo qui consacre un auteur d’avenir et un premier film. Au début réticente car elle disait avoir eu du mal à accepter ce lourd héritage du père – elle n’a vu ses films qu’à l’âge de quatorze ans –, elle en devint la secrétaire générale à partir des années soixante-dix et enfin la présidente.
Elle me racontait il y a quelques années ses réunions de visionnage, à l’époque aux Trois Luxembourg, les salles de Gérard et Anne Vaugeois, parmi ses fidèles complices du Prix. Elle disait pour préciser les raisons de cet engagement : « Le prix existe depuis 1951. C’est un peu un devoir de mémoire et une façon de défendre le cinéma indépendant. Jean Vigo était un cinéaste mort jeune mais qui s’est beaucoup battu… »
Je ne manque pas la remise du prix Jean Vigo, devenu incontournable à force d’avoir récompensé toute l’intelligence cinématographique des soixante dernières années, bien avant qu’elle ne soit évidente : Jean-Luc Godard, Chris Marker et Alain Resnais, Sembène Ousmane, Philippe Garrel, Jacques Rozier, Jean-Charles Hue, Katell Quillévéré. Il y en a tant… Un rendez-vous que j’attends pour découvrir un nouveau talent, « un auteur d’avenir » selon la définition de Luce, une œuvre qui ne me décevra pas.
Mais surtout une occasion de revoir Luce, on avait le temps, elle était si jeune…


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