En hausse dans les sondages et en cour dans les médias, le fondateur de En marche ! promeut un nouveau compromis de société. Mais son projet est d’abord celui d’une « révolution » entrepreneuriale, et d’une réaffirmation de l’ordre social des marchés.
« Macron confirme qu’il ne révélera son programme que s’il est élu ». L’information n’en est pas une puisqu’elle émane du site parodique Le Gorafi, mais elle exprime bien l’idée que si la dynamique de la campagne d’Emmanuel Macron est tangible, il faut encore décrypter son discours pour cerner son projet.
Le fondateur de En marche ! se revendique du « mouvement » et des « réformes », contre les « conservatismes » et les « blocages » de la société. Une rhétorique de modernisation libérale qui n’a pas le mérite de la nouveauté, et à côté de laquelle le candidat cultive, avec des accents peut-être davantage néo-gaullistes que proprement « populistes » [[Pour une réflexion critique sur la notion de « populisme », (re)lire Annie Collovald. Par exemple : « Le «populisme» du FN : retour sur une invention médiatique, sur le site Acrimed.]], un dépassement du clivage gauche-droite au nom de l’unité du pays.
Tissant un nouveau récit collectif articulé autour de la figure de l’entrepreneur, donnant la « réussite » pour condition nouvelle de « l’émancipation », Macron ne présente pas seulement un programme politique : il s’érige en fer de lance d’une révolution symbolique portée par les catégories sociales qui ont su tirer profit de la mondialisation libérale.
Le parti de « ceux qui réussissent »
Si le PCF était ouvriériste, si le PS était ancré dans la fonction publique, en particulier dans l’enseignement, En marche ! apparaît d’abord comme le parti de « ceux qui réussissent » : « L’émancipation, c’est la liberté encouragée pour celles et ceux qui réussissent, qui veulent entreprendre, faire, oser, tenter ». « Notre projet, c’est d’aider ceux qui réussissent à réussir mieux, plus vite, plus fort »[[Extraits du discours d’Emmanuel Macron lors du meeting de Lille, le 14 janvier 2017.]].
Durant le meeting de Lille, le 14 janvier, Françoise Holder, déléguée du mouvement et dirigeante des boulangeries industrielles Paul, dénonçait une « centralisation à outrance, la méconnaissance totale des problèmes du terrain par des gens qui ne sortent pas de leur bureau parisien ». Avant de se montrer ambitieuse : « Comme l’a dit Gandhi, soyons le changement que nous voulons dans le monde ! »
Le storytelling d’Emmanuel Macron mobilise une pensée quasi-magique, annonçant la « libération du pays », prélude à sa « renaissance », si les clés de sa destinée lui étaient confiées. « Les territoires veulent entreprendre », annonce l’ancien ministre, pour justifier le nouveau round de décentralisation qu’il propose. Les services de l’État aussi : « Nous avons une fonction publique d’une qualité incroyable. Nous devons la libérer, la laisser innover. Je crois à une fonction publique entreprenante ». Le candidat propose « un grand mouvement de transformation de l’État, une déconcentration nouvelle », plus d’autonomie pour les universités, les hôpitaux, les écoles, mais aussi pour les administrations[[Cet aspect a été développé lors du meeting de Paris, le 10 décembre 2016.]].
« Émanciper », mais surtout les entreprises
La déconcentration voulue par Emmanuel Macron viserait à impulser la transition d’une logique de contrôle traditionnelle, celle des administrés par les services de l’État, vers une logique centrée sur « l’accompagnement ». Une « révolution » qui est en fait déjà partiellement à l’œuvre, par exemple au sein de la douane, de la répression des fraudes ou du ministère de l’Agriculture.
Autre proposition, accueillie par un tonnerre d’applaudissements à Lille : adosser la gestion du Régime social des indépendants (RSI), très décriée par les chefs d’entreprise, au régime général de la sécurité sociale : « La vie des entrepreneurs, des indépendants, des professions libérales, doit être facilitée », martèle le candidat.
[Lire aussi : Marc Endeweld : « Macron est idéologiquement le bébé de Hollande »]
Bien qu’adossées à une rhétorique de la rupture, les réformes promues par l’ancien inspecteur des finances se positionnent dans la continuité directe du quinquennat de François Hollande. Malgré son échec, la politique de l’offre – visant à diminuer les « contraintes » des entreprises pour « faciliter les embauches » – serait confirmée à travers une consolidation du CICE, converti en un « allègement de charges » permanent. Les cotisations patronales seraient réduites de 6% pour toutes les entreprises, et même de 10% au niveau du smic, pour les salariés les moins qualifiés et les plus jeunes. En 2015, la Cour des comptes a pourtant alerté : une telle politique mène à un tassement des rémunérations autour du salaire minimum, ce qu’on appelle des « trappes à bas salaires ».
« Adapter » le monde du travail
Emmanuel Macron se présente pourtant comme « le candidat du travail ». Mais toujours à travers le même prisme : « Je veux qu’on entreprenne, qu’on prenne des risques, qu’on réussisse plus facilement »[[Cette citation, de même que les suivantes, est tirée du meeting de Lille.]]. Une nouvelle loi Travail, plus ambitieuse, serait initiée, encore et toujours « pour que la vie des entrepreneurs soit plus simple ». L’indemnisation du chômage ne serait pas rognée, mais étendue aux indépendants. Pour favoriser la mobilité professionnelle, un droit à la démission tous les cinq ans serait instauré pour les salariés. Surtout, l’ancien ministre prévoit la création, ou plutôt la réorientation des moyens du Pôle emploi, vers un « grand service public de la qualification et de la formation tout au long de la vie ».
Pour quel objectif ? Bien davantage que de prendre la défense du monde du travail, ou de questionner les modalités par lesquelles le néolibéralisme soumet celui-ci à une violence inouïe[[« Le travail, ce n’est pas une souffrance », a déclaré Macron à Lille, témoignant d’une connaissance profonde des « réalités du terrain ».]], il s’agit de « regarder le monde en face » – c’est à dire de l’accepter tel qu’il se donne à voir – et de « préparer les citoyens au changement » perpétuel : « Des secteurs entiers vont être balayés, bousculés par le numérique, par la transition énergétique », prévient Macron.
« Des millions d’emplois seront détruits, des millions seront créés. » Plutôt que d’imaginer transformer l’ordre des choses, la condition du travailleur au 21e siècle, tel Sisyphe, sera réduite à l’art de « se former pour devenir quelqu’un d’autre, et rebondir ».
Compromis social sous hégémonie libérale
La « marche » de l’ancien élève de l’ENA se distingue cependant des velléités de purge portées par un François Fillon. Dans une ligne assez proche du registre traditionnel du patronat social, Macron affiche son soutien « à celles et ceux qui sont parfois bloqués, à qui la société ne propose plus rien si ce n’est des aides ». « Votre responsabilité, vous qui êtes dans la salle et qui réussissez, c’est d’être là, enracinés, et de vous engager pour les autres ». Pour préserver la sécurité sociale, pour investir dans l’école et « mieux rémunérer les enseignants », Macron demande un effort aux retraités les plus aisés, ainsi qu’aux revenus du capital.
Pour autant, l’ancien ministre de l’Économie n’affiche aucune volonté de remise en cause des logiques dominantes de la mondialisation et de la construction européenne. Il souhaite donner plus d’épaisseur à cette dernière, en faire « un bouclier », sans pour autant questionner la libéralisation financière, la prédominance de l’austérité et de la concurrence, ou l’absence de contrôle démocratique de la monnaie.
[Lire aussi : Macron : la « révolution » dans la continuité]
In fine, Emmanuel Macron et son mouvement cherchent à capitaliser autour du nouveau compromis social dont ils se font les promoteurs, articulant modernisation néolibérale – incarnée par la figure de l’entrepreneur – et ajustement du modèle social. Un compromis que l’on pourrait qualifier de « libéral-social », et qui viserait à surpasser celui de 1945, mis à mal par le déploiement du capitalisme financier. Comme alternative à une reprise en main plus purement autoritaire, il s’agit de redonner une légitimité à celui-ci – notamment auprès des classes moyennes – pour mieux réassurer l’ordre social qui lui est attaché[[Sur le même sujet, lire l’analyse du politologue Gaël Brustier : « L’expérience Macron [vise à] convertir des groupes sociaux à un gigantesque plan de sauvetage idéologique à la fois de la Ve République, de son mariage avec l’intégration européenne et du capitalisme à la sauce californienne ».]]. On comprend mieux, dès-lors, l’attrait de certains segments de l’élite économique et financière pour l’ancien pensionnaire de Bercy.




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