À quelques jours du scrutin, le PS peut-il encore espérer que sa primaire constitue un sursaut salvateur ? Le politologue Fabien Escalona analyse la crise dans laquelle le parti s’est plongé en suivant la ligne sociale-libérale.
Spécialiste de la social-démocratie, Fabien Escalona est chercheur et enseignant au laboratoire Politiques publiques, action politique et territoires à Sciences Po Grenoble.
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Regards. Quels sont les enjeux immédiats de la « primaire citoyenne » ? Peut-elle marquer un tournant pour le parti ?
Fabien Escalona. L’enjeu réside surtout dans le nom du vainqueur et la ligne sur laquelle la campagne sera menée, qui conduiront à des recompositions internes, encore plus vastes potentiellement après les élections présidentielles et législatives. De ce point de vue, la primaire est déterminante. On dit souvent qu’elle s’apparente à une sorte de congrès un peu élargi, du fait que la participation risque d’être moindre et que les sympathisants s’en désintéressent… Mais les lignes qui s’affrontent sont identifiables et font écho à des préoccupations que l’on retrouve dans d’autres partis de centre-gauche en Europe. Benoît Hamon essaie de se connecter à une gauche alternative orientée plutôt vers la jeunesse ; à l’autre bout du spectre, Manuel Valls défend un projet quasiment nationaliste qui s’appuie sur une supposée demande d’autorité du peuple à laquelle il estime répondre mieux que les « populistes »… Même si le Parti socialiste est abimé, il restera incontournable pour la recomposition de la gauche, y compris pour ceux qui attendent une posture plus combative. On ne pourra pas faire l’économie du PS.
« Les cadres actuels du parti, ceux qui composent son aile droite voire définissent son centre de gravité, ne sont pas prêts à suivre une ligne 100% Montebourg et encore moins 100% Hamon. »
À plus court terme, le problème central, pour les candidats, est-il de s’affranchir du bilan de la présidence Hollande, comme le suggère d’ailleurs le renoncement de celui-ci ?
C’est bien là que réside la principale difficulté pour eux : tous ont participé à ce pouvoir et à ce quinquennat. De ce point de vue, Jean-Luc Mélenchon peut s’appuyer sur une cohérence plus forte : on lui a souvent reproché d’être dans une critique négative, mais au moins a-t-il été constant dans ce registre. Pour les candidats à la primaire, c’est d’autant plus compliqué qu’une partie de l’électorat, surtout maintenant qu’il a renoncé, est rétive au « Hollande-bashing ». Ils font ainsi preuve d’une certaine réserve. Benoît Hamon s’en sort assez bien dans la mesure où il incarne un projet qui n’a pas grand-chose à voir avec la ligne qui a été suivie, tout en se gardant d’être aussi virulent qu’Arnaud Montebourg dans la critique de l’exécutif.
Est-ce que Benoît Hamon ou Arnaud Montebourg, s’ils l’emportent, peuvent freiner ou revenir sur l’évolution libérale du parti ?
Cela dépendra en partie de leur score à la primaire. Aujourd’hui, le champ est beaucoup plus large : on voit aussi qu’il se produit quelque chose autour d’Emmanuel Macron. Les cadres actuels du Parti socialiste, ceux qui composent son aile droite voire définissent son centre de gravité, ne sont pas prêts à suivre une ligne 100% Montebourg et encore moins 100% Hamon. Il y aura des résistances fortes dans l’appareil, ainsi que chez une large part des militants. Le parti a connu des départs massifs, mais les militants qui sont restés n’ont justement pas voté, lors du dernier congrès, pour l’aile gauche… Une victoire avec un bon résultat aux primaires donnerait cependant à Hamon ou Montebourg une légitimité et leur ouvrirait des possibilités. Par ailleurs, si une véritable offre sociale-libérale se consolide autour de Macron, l’aile droite pourrait être tentée par des départs d’une ampleur inédite depuis longtemps. Mais aujourd’hui, l’incertitude domine.
« Le scénario des législatives sera décisif : le groupe parlementaire restera-t-il conséquent et surtout, le PS restera-t-il la première formation à gauche ? »
Comment le PS peut-il survivre à un écartèlement aussi prononcé entre ses différentes composantes, à des fractures qui passent aussi bien par les questions économiques et sociales que par les thèmes liés à l’identité, la laïcité, la sécurité, etc. ?
Pour dire les choses crument, le parti tient d’abord par les postes d’élus. Au-delà d’un éventuel échec brutal à la présidentielle, le scénario des législatives sera décisif : le groupe parlementaire restera-t-il conséquent et surtout, le PS restera-t-il la première formation à gauche ? La tension est devenue beaucoup plus forte, mais, quitte à adopter une lecture très institutionnelle, on peut penser que le souci d’être élu – pas seulement à des fins personnelles, mais aussi pour défendre des objectifs politiques et obtenir des financements – dissuade de quitter cette vieille machine. La catastrophe se profile depuis quelque temps déjà, or les échecs électoraux lors des élections intermédiaires n’ont pas suscité de ralliements significatifs au Front de gauche ou aujourd’hui aux Insoumis… Beaucoup se disent que ce chemin-là n’est pas viable, qu’il serait extrêmement coûteux et reviendrait à faire une croix sur leur carrière dans un paysage où les seuils d’accès au second tour restent très élevés.
On a pourtant constaté une hémorragie de militants, qu’aggraveraient de nouvelles déroutes électorales. Le scénario d’une « pasokisation » peut-il être exclu ?
Le moment viendra peut-être où il n’y aura plus grand-chose à perdre, avec un appareil si anémié qu’une aventure avec d’autres forces ou dans une nouvelle formation deviendra beaucoup plus attractive. Mais il faut rester circonspect, en se souvenant par exemple de la séquence 1992-1993 : malgré des échecs historiques aux élections et à peine plus d’une cinquantaine de députés, personne n’avait été en mesure de contester l’hégémonie du PS à gauche. En dépit de l’émergence du Front national, le système de la Ve République favorise encore le jeu des alternances, qui conserve au PS sa position privilégiée.
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Y avait-il, à l’époque, autant de contradictions politiques et idéologiques au sein du PS ?
Une différence essentielle réside dans l’existence d’une crise économique beaucoup plus longue, beaucoup plus structurelle. On perçoit cet état différent de la société au travers de différents mouvements sociaux comme Nuit debout ou l’opposition aux « grands projets inutiles ». Ce qui me frappe surtout touche à des orientations, notamment prises par Manuel Valls, qui heurtent les valeurs reposant sur l’universalisme, les libertés individuelles ou la république sociale – des valeurs constituant le socle historique du PS.
« L’ère sociale-libérale a permis aux élites socio-démocrates de se maintenir au pouvoir, mais elle a compromis leur capacité à préparer une alternative. »
La crise du PS s’inscrit-elle, à l’échelle européenne, dans celle de la social-démocratie et de ses tentatives sociales-libérales, qui semblent sanctionnées par de sévères revers électoraux et des impasses politiques ?
C’est la thèse que je défends : on assiste au crépuscule de cette voie sociale-libérale, que j’appelle la social-démocratie de marché. La social-démocratie a fourni à ses partisans une identité qui leur a permis, sinon de satisfaire à tous les critères que l’on attend de la gauche, de conserver le pouvoir, de rester au sein de la sphère dirigeante pendant de longues années. Mais désormais, les rendements sont nettement décroissants et les socio-démocrates ont beaucoup de mal à préserver la loyauté d’un nombre suffisant d’électeurs pour prétendre encore être une force d’alternance. Cela ressemble à la fin d’une ère qui a permis aux élites socio-démocrates de se maintenir au pouvoir de manière satisfaisante, mais qui a compromis leur capacité à préparer une alternative. L’encéphalogramme est plat, comme si la technocratisation était allée tellement loin qu’il n’y a plus de ressources internes pour penser une rénovation intellectuelle.
Ce constat ne rend-il pas probable ou nécessaire une profonde recomposition de la gauche autour de nouvelle polarités plus cohérentes ?
Au-delà de ce climat crépusculaire, la situation peut aussi nourrir des tensions et des conflits internes, faire évoluer les rapports de forces. Jeremy Corbyn a pris la tête du Parti travailliste britannique. L’opposition au CETA de Paul Magnette, ministre-président de Wallonie, a été significative : au-delà de ce qu’il a obtenu, il a publiquement mis sur la table les raisons du conflit, avec une certaine pédagogie, en défendant le parlementarisme et la démocratie – ce qui devrait paraître normal mais qui a énormément surpris. La possibilité reste que les partis se recomposent, ou changent d’eux-mêmes.
De quoi ces changements dépendent-ils ?
En grande partie des systèmes partisans et politiques des pays concernés. Au Royaume-Uni, qui laisse très peu de place aux « tiers-partis », le système favorise la réorientation plus radicale du Parti travailliste parce que la création d’une nouvelle formation serait trop coûteuse. Les systèmes proportionnels, comme en Espagne ou en Grèce, favorisent l’émergence d’alternatives. En France, on est dans un entre-deux : un système moins rigide qu’au Royaume-Uni, qui autorise donc des initiatives en dehors du PS ; mais pas aussi ouvert que dans les pays qui ont adopté la proportionnelle, avec des scrutins à deux tours, le Front national utilisé comme épouvantail par les partis dominants… Si je devais parier sur une évolution, celle-ci consisterait en une dialectique entre des conflits internes au PS et des dynamiques en dehors de lui, comme celles qui se dessinent autour des Insoumis ou d’Emmanuel Macron.


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